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LA CHANSON DE ROLAND.

sera, je l’espère, le comte Roland, son neveu, et le preux Olivier. Ils sont morts, croyez-moi, si l’on veut m’écouter.

— Enseignez-moi, beau sire (et que Dieu vous bénisse !) comment je puis tuer Roland ?

— Je saurai bien vous le dire : l’empereur, quand une fois il sera aux grands défilés de Cisaire, aura son arrière-garde loin de lui. Il y aura placé son fier neveu et Olivier, en qui tant il se fie. Ils auront vingt mille Français avec eux. De vos païens, envoyez-leur cent mille. Je ne vous promets point qu’en un premier combat, si meurtrier qu’il soit à ceux de France, il n’y ait aussi grand massacre des vôtres ; mais un second combat sera livré : n’importe dans lequel, Roland y restera ! Vous aurez fait grand acte de vaillance, et de toute votre vie vous n’aurez plus de guerre. Que pourrait Charles sans Roland ? N’aurait-il pas perdu le bras droit de son corps ? Que deviendrait sa merveilleuse armée ? Jamais plus il ne l’assemblerait ! De guerroyer il perdrait fantaisie, et le grand empire rentrerait au repos. »

À peine a-t-il achevé, Marsille lui saute au cou et l’embrasse ; puis, sans plus de discours, il lui offre de jurer qu’il trahira Roland.

« Soit, s’il vous plaît ainsi, dit Ganelon, » et, sur les reliques de son épée, il jure la trahison et consomme son forfait.

De son côté, Marsille fait apporter sur un fauteuil d’ivoire le livre de sa loi, le livre de Mahomet, et jure, s’il peut trouver Roland à l’arrière-garde, de le combattre jusqu’à la mort.

Alors s’avance un Sarrasin, Valdabron, l’ancien gouverneur du roi. Il présente à Ganelon son épée, la meilleure qui soit au monde. « Par amitié, je vous la donne ; aidez-nous à nous défaire de Roland le baron. — De tout mon cœur, » et ils s’embrassent.

Un autre, Climorin, lui apporte son casque. « Je ne vis jamais le pareil ! prenez-le pour nous aider contre Roland le marquis. — Très volontiers, dit encore Ganelon, » et ils s’embrassent.

Vient enfin la reine Bramimonde : « Je vous aime beaucoup, sire, dit-elle au comte, car vous êtes bien cher à mon seigneur et à tous ses sujets ! Pour votre femme, prenez ces bracelets. Voyez que d’or, d’améthistes et de jacinthes ! ils valent plus que tous les trésors de Rome ; votre empereur n’en a point de pareils. »

Et Ganelon prend les bijoux.

Marsille appelle alors Mauduit, son trésorier : « Avez-vous préparé les présens pour Charlemagne ? — Sire, ils sont prêts. Sept cents chameaux chargés d’or et d’argent, et vingt otages les plus nobles qu’il y ait sous le ciel. »

Marsille, la main posée sur l’épaule de Ganelon : « Tu parles bel et bien, dit-il ; mais, par cette loi que tu crois la meilleure, garde-toi de changer de desseins envers nous ! » Puis il promet que chaque an-