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Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 14.djvu/853

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LA CHANSON DE ROLAND.

appellent Roland. Roland les entend, vient à eux, et les païens s’écrient : « Voici de terribles hommes ! prenons garde que ces trois-là ne s’en aillent vivans. » De toutes parts aussitôt ils se jettent sur eux. Gautier tombe ; Turpin a son casque brisé, son haubert déchiré, quatre blessures au corps, son cheval tué sous lui. Roland, pensant à l’empereur, saisit encore son olifant, mais il n’en tire qu’un son faible et plaintif.

Charles l’entend pourtant. « Malheur à nous ! dit-il, Roland, mon cher neveu, nous arrivons trop tard ; j’en juge au son de ce cor. Marchons : sonnez, clairons. » Et tous les clairons de l’armée ont soudain retenti.

Le bruit en vient aux oreilles des païens. « Hélas ! se disent-ils, c’est Charles qui revient, c’est le grand empereur ! Pour nous, fatale journée ! tous nos chefs sont à terre ; si Roland vit, la guerre recommence, et notre Espagne est perdue pour nous. Jamais Roland ne sera vaincu par un homme de chair ! N’approchons pas, et lançons sur lui tous nos traits ; qu’il reste sur la place. » Là-dessus, ils se tiennent à distance et font pleuvoir dards, flèches, lances, épieux. L’écu de Roland est percé, fracassé ; son haubert rompu et démaillé, son corps n’est pas atteint ; mais Vaillantif, en vingt endroits blessé, tombe mort sous son maître.

Le coup fait, tous ces païens s’enfuient et galopent du côté de l’Espagne.

Roland, sans son cheval, est hors d’état de les poursuivre. Il s’en vient secourir l’archevêque, lui délace son heaume, lui bande ses plaies béantes, le presse contre son cœur et le dépose mollement sur le gazon. Puis doucement il lui dit : « Abandonnerons-nous sans prière nos compagnons que voilà morts et que tant nous aimions ? Je veux aller chercher leurs corps et les apporter devant vous. — Allez, lui répond l’archevêque, nous sommes maîtres du terrain, allez et revenez. »

Roland le quitte et s’avance tout seul dans ce champ de carnage, cherchant sur la montagne, cherchant dans le vallon. Il les trouve, ses braves camarades, et le duc Sanche, et le viel Anséis, et Gérard, et Béranger. Un à un, il les apporte et les dépose aux genoux du prélat, qui les bénit en pleurant. Mais, quand vient le tour d’Olivier, quand Roland veut apporter le corps de ce cher compagnon étroitement serré contre son cœur, son visage pâlit, ses forces l’abandonnent et par terre il tombe évanoui.

L’archevêque, à cette vue, se sent pris d’une mortelle douleur. Dans ce val de Roncevaux, il est une eau courante : s’il pouvait en donner à Roland ! Il saisit l’olifant et cherche à se traîner, chancelant, à petits pas, si faible qu’il ne peut avancer ; mais toute force lui manque, et, la face contre terre, il tombe dans la dernière angoisse de la mort.

Roland s’éveille, il voit le saint guerrier gisant. Les yeux levés au