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avec beaucoup de propreté ; elles contrastent heureusement, sous ce rapport, avec les constructions du village américain qui s’élève en face, sur un sol bas et marécageux, et qui a pris naissance depuis l’époque où l’émigration venant des États-Unis s’est précipitée sur l’isthme. Il y a là une quarantaine de bâtimens en planche qui servent d’hôtels, de magasins, de restaurans. C’est, de l’aveu de tout le monde, un affreux endroit que l’on a hâte de quitter, et qui laisse dans l’esprit du voyageur les plus désagréables souvenirs. Il est difficile d’évaluer la population toujours mouvante de ce côté de la baie ; quant au village indien, il renferme à peu près 800 habitans issus d’un mélange des deux races africaine et indienne où le type africain domine malheureusement. Ces pauvres gens paraissent d’un naturel assez paisible, et se distinguent en général par une gravité et une politesse naturelles qu’il faut attribuer à l’influence de la domination espagnole. À ce point de vue, ils sont bien supérieurs à leurs voisins de l’autre rive, qui ne brillent ni par les belles manières ni par le savoir-vivre. Autrefois la population indigène de Chagres vivait du produit de l’agriculture, qui, dans ces contrées, ne demande pas grand travail ; maintenant les hommes se sont faits bateliers, et gagnent à ce métier 4 à 5 piastres (16 à 20 francs) par jour. Ils font pour la plupart le service de rameurs sur les barques qui naviguent sur le Chagres, et dont les patrons sont en général des Américains. Avec l’aisance sont venus des besoins plus nombreux, et l’on est surpris de voir dans ces huttes primitives des meubles et des ustensiles qui appartiennent à une civilisation avancée. Cette aisance se manifeste aussi chez les femmes par une profusion de chaînes d’or et de bijoux dont elles se couvrent les jours de fête.

De Chagres à Gatun, situé à 9 milles en amont sur la rive gauche de la rivière de Chagres, en face de l’endroit où le tracé du chemin de fer rejoint cette vallée, on ne rencontre qu’une ou deux huttes isolées. Le cours de la rivière se développe entre deux rangées de collines fréquemment coupées par les petites vallées transversales au fond desquelles coulent les ruisseaux tributaires du Chagres. Entre la base des collines et le bord de l’eau, il y a généralement une bande étroite de terrain à peu près horizontal, et qui ne s’élève que de quelques mètres au-dessus de la rivière. Tout cela est presque partout recouvert de la plus riche végétation tropicale. Les branches des arbres s’avancent parfois jusqu’au-dessus des bords du Chagres, et forment des routes de verdure sous lesquelles viennent passer les barques des voyageurs. Jusqu’à Gatun, la rivière est navigable pour les navires qui ne jaugent pas plus de 200 à 250 tonneaux. Le village de Gatun se compose d’une trentaine de huttes semblables à celles qu’on voit à Chagres, et qui bordent les deux côtés d’une rue à peu près droite de 6 à 7 mètres de largeur. On y trouve la même population, les mêmes types, les