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et n’ont guère qu’un écueil à craindre : la concurrence de l’industrie sucrière de la métropole. Nulle époque ne saurait donc être plus favorable pour étudier ce qu’a produit l’activité industrielle et commerciale dans nos colonies quatre années après l’abolition de l’esclavage.

Nous pouvons dire tout de suite, et non sans quelque orgueil, que, quatre années après l’émancipation de leurs travailleurs noirs, les colonies anglaises étaient loin d’avoir obtenu des résultats aussi satisfaisans. Ce succès, si honorable pour les colonies françaises, est dû à quatre causes principales : d’abord à l’énergie des mesures prises, tant par les autorités locales que par la métropole, pour couper court à l’esprit de désordre et de vagabondage qui cherchait à se faire jour parmi les nouveaux émancipés, ensuite à l’acquittement régulier des indemnités dues aux propriétaires d’esclaves. Il faut aussi en faire hommage à l’activité et à l’esprit de bienveillance qui se sont manifestés parmi nos colons pendant cette période critique, bienveillance naturelle au caractère national, et qui attire les noirs autant que la morgue anglaise leur est insupportable. Enfin, comme une cause dernière et non moins efficace de cette situation inespérée, il faut noter la bonne nature des noirs eux-mêmes, infiniment plus dignes de la liberté qu’on ne l’a prétendu. C’est grace à tant d’influences favorables que la transformation sociale de nos colonies a pu s’opérer sans malencontre et ne laisser après elle aucune des traces fâcheuses qui ont suivi la suppression du travail servile dans les possessions anglaises.

Pour montrer à la France ce que valent ses colonies, ce que vaut son système colonial, il ne faut que tracer un tableau rapide et précis de nos divers établissemens d’outre-mer. Il y a un siècle, on le sait trop, ce dénombrement eût flatté notre orgueil infiniment plus qu’aujourd’hui : il y a cependant, aujourd’hui même encore, quelque intérêt à l’aborder. Dans le cours de cent années, nous avons successivement perdu : en Asie, les points les plus importans de nos colonies de l’Inde, et, dans la mer des Indes, les Seychelles et l’Ile de France ; — en Amérique, l’Acadie, le Cap-Breton, le Canada, les rives du Saint-Laurent ; — dans la mer des Antilles, la Dominique, Saint-Vincent, la Grenade, Tabago, Sainte-Lucie, Saint-Eustache, Saint-Domingue, si digne de son nom de Reine des Antilles. Durant la même période, de nombreux traités conclus par l’Europe sous l’inspiration de l’Angleterre n’ont eu d’autre but que de frapper au cœur notre marine et notre commerce. Il n’est donc pas étonnant que la dure loi des vainqueurs ait surtout pesé sur ces contrées lointaines, dont les produits alimentaient notre commerce d’échange et par suite notre navigation. Toutefois la France est si prompte à se relever de ses échecs, sa situation géographique lui impose si naturellement une flotte marchande