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la riche végétation. De temps en temps, nous distinguions à la longue-vue des habitations créoles qui se détachaient au milieu de la verdure ; en quelques endroits, ces riantes maisons se groupaient sur le plateau d’une colline, et un petit : clocher les dominait. Le son argentin de l’angelus arrivait jusqu’à nous, et nous apercevions la famille créole se dirigeant vers l’église, suivie de la foule des esclaves dont quelques-uns, attardés par l’ouvrage, traversaient en courant les plantations de cannes. Si, de la rive, notre regard se dirigeait vers le ciel, il traversait un amphithéâtre de mornes et de pitons dont la nature s’assombrissait de plus en plus de la base au sommet. Tel se découvrait à nous le seul joyau qui reste encore à la France au milieu de l’Océan Indien, joyau imparfait, hélas ! car la nature a refusé un port, une rade même passable à Bourbon.

L’île de Bourbon ou plutôt l’île de la Réunion[1], car telle est sa dénomination nouvelle depuis 1848, est traversée du nord au sud par une chaîne de montagnes escarpées qui la divise en deux parties, celle de l’est ou partie du vent, celle de l’ouest ou partie sous le vent. Des défrichemens successifs ont déboisé toute la zone inférieure des montagnes, mais la partie centrale de l’île est encore couverte de sa végétation primitive. Le tiers de cette île environ est cultivé : dix-sept rivières, dont aucune n’est navigable, descendent de ses montagnes et se jettent dans la mer. À vrai dire, ce sont des torrens plutôt que des rivières, et ces torrens, par suite de leur pente rapide, de leur lit encaissé, offrent même peu de ressources pour l’irrigation.

Les rades de Saint-Denis et de Saint-Paul, les deux villes principales de la Réunion, sont les plus fréquentées de l’île, mais ce ne sont que des rades foraines. Les bâtimens mouillés sur ces rades doivent donc les quitter au plus vite, sous peine de s’y perdre à l’ancre corps et biens, dès que la baisse du baromètre annonce l’ouragan. La prophétie du mercure est alors appuyée d’un coup de canon parti de la direction du port, afin que les retardataires gagnent le large le plus tôt possible. Souvent même cette fuite au large ne préserve pas les navires de la fureur des violens ouragans de la mer des Indes : quantité de bâtimens de commerce en ont été les victimes. Le Berceau, corvette de guerre, n’a plus reparut depuis plusieurs années, engloutie sans doute par les vagues monstrueuses de ces mers tropicales, d’ordinaire si bleues et si tranquilles. Dans cette même tempête ; la frégate la Belle-Poule fut aussi sur le point de trouver un tombeau. D’autres souvenirs, à la fois tristes et glorieux pour la France, planent sur ces parages. On sait à quels efforts d’héroïque résistance donna lieu la conquête de l’île de France,

  1. De l’île de la Réunion dépendent Nossi-bé et Mayotte, deux îles occupées assez récemment, et la petite île de Sainte-Marie, jetée vis-à-vis et tout près de Madagascar.