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les deux tiers du chiffre total, tandis que dans la navigation de concurrence nous nous sommes fait battre par les marines rivales.

Quelques personnes attribuent, nous le savons, cette victoire des marines rivales à la cherté de nos matériaux de construction, dont notre pays est assez dépourvu, cherté qui découle, dit-on encore, de notre système prohibitif ; elles l’attribuent à notre système prohibitif lui-même, qui est frappé de réciprocité chez l’étranger. Qu’en résulte-t-il ? ajoute-t-on. C’est que non-seulement nos navires coûtent plus cher de façon, mais encore ne peuvent se faire dans les pays lointains les courtiers maritimes des produits du globe. — Sans nul doute, un dégrèvement sur les matériaux étrangers de construction à leur entrée en France ne pourrait qu’abaisser le prix de notre navigation marchande, puisqu’elle abaisse le prix du capital de la première mise dehors ; mais de combien ? Un navire de 500 tonneaux construit en France coûte environ 200,000 fr. Dans cette somme, la différence résultant du prix du bois, du fer, et des droits sur l’entrée de ces matières, représente une somme de 15,000 fr. Or la portion de dépense annuelle consacrée à l’amortissement de ces 15,000 fr., c’est 1,500 fr. ; en vérité, qu’est-ce qu’une somme de 1,500 fr. auprès des frais d’armement de ce navire, qui montent annuellement à 60 ou 70,000 fr., et à ses revenus surtout, qui varient depuis 200,000 francs dans les bonnes années jusqu’à 40,000 dans les mauvaises ?

Si donc notre navigation est plus coûteuse que celle de nos voisins, on ne peut raisonnablement considérer ce faible surcroît de dépenses de 1,500 francs comme une des causes sérieuses de notre infériorité, et ce ne serait pas alors l’abaissement des tarifs d’entrée sur les matériaux de construction première qui pourrait nous en relever. Serait-ce l’ensemble de notre système prohibitif ? Mais, pour qu’une nation ait la prétention de faire de ses navires les courtiers du globe entier, il faut que ces mêmes navires aient les chances de succès de leur côté dans une lutte de concurrence ; or ces chances, il ne suffirait pas d’un coup de canif dans la législation des tarifs et le contrat colonial pour nous les rendre. Notre infériorité en navigation marchande tient à d’autres causes : pariai ces causes, les unes sont la conséquence de nos révolutions périodiques ou du caractère propre de nos marins ; les autres sont dues à la nature des produits de notre sol. Il faut bien le reconnaître, les révolutions, les crises politiques, les guerres que nous avons eu à traverser depuis la fin du siècle dernier, en nous chassant de la mer pendant de longues années, ont permis aux marines rivales d’accaparer des transports et une clientelle que la disparition de notre pavillon ne nous permettait plus de partager. Sous ce rapport, nous sommes distancés aujourd’hui, et nous payons cher les fautes de notre passé révolutionnaire.