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moins funeste, si le roi Charles X avait été assez hardiment inspiré en 1829 pour intervertir les rôles, peut-être aurait-on fini par créer les deux choses qui font défaut à notre pays, un royalisme enté sur le calcul et un libéralisme enté sur l’honneur. Tel était, malgré les apparences contraires, le courant naturel des esprits, et le génie aurait pu devancer sur ce point l’expérience tardive que nous ont apportée les événemens qui se déroulent aujourd’hui sous nos yeux. Peut-être n’aurait-il pas été impossible de consommer sous un gouvernement régulier, protégé par la stabilité de son principe, l’union qui, après avoir préservé la France dans une crise suprême, demeure encore la moins chimérique espérance de son avenir.

Mieux valait pour la bourgeoisie n’obtenir sur les préjugés du roi qu’une demi-victoire que de remporter sur l’institution royale une victoire trop complète. Son intérêt bien entendu lui commandait même d’ajourner son triomphe jusqu’après un règne dont la nature avait marqué la fin prochaine, plutôt que d’affronter les hasards d’une révolution populaire avec la chance fort incertaine de la dominer. C’était un grand aveuglement que de chercher des analogies et des présages dans les destinées de la révolution dynastique consommée en Angleterre, car ce grand mouvement, tout religieux dans son principe, s’était opéré par les mains de l’aristocratie et à son profit exclusif, sans que l’élément démocratique essayât de s’en emparer. En admettant même, chose plus que douteuse à la veille de 1830, qu’un prince se rencontrât pour devenir le Guillaume III de la bourgeoisie, quelle serait l’issue d’une lutte immédiatement engagée contre le parti républicain, dont il faudrait accepter le concours au jour du combat pour le répudier au lendemain de la victoire ? Quelle serait la force morale d’une royauté dont tous les royalistes de profession se déclareraient les ennemis implacables ? Quelle attitude aurait un tel gouvernement à l’intérieur, quelle influence aurait-il au dehors ? La France d’ailleurs pouvait-elle déchirer par rapport à elle-même les traités de 1814 et de 1815 dans l’une de leurs dispositions fondamentales sans les déchirer par rapport à l’Europe ? Était-il possible de changer son drapeau sans changer sa politique, et la guerre générale ne serait-elle pas le second acte d’une révolution qui romprait avec le droit public de tous les grands états ? Si elle éclatait, quelle serait la situation des hommes de travail et de parole défendant, l’aune et la plume à la main, un gouvernement menacé par le réveil de toutes les passions démagogiques et militaires ? S’il la conjurait à force de prudence ou de concessions, quel thème pour ses ennemis, quelle cause permanente d’impuissance et de faiblesse ! Succomber dès l’abord sous une crise européenne ou périr lentement sous la calomnie, n’avoir pas moins à craindre les habitudes invétérées d’amis nourris dans l’opposition que l’implacable hostilité de deux partis coalisant leurs haines, et n’échapper aux fureurs de la