Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 14.djvu/99

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Nous ne savons, — disait dernièrement un commodore anglais, — qui a eu le premier la grande idée de l’escadre avancée ; mais, quel qu’il soit, il a bien mérité du pays : la couronne de lauriers votée par les Athéniens à Périclès n’était pas mieux gagnée. L’escadre avancée réunit le double avantage d’une grande efficacité et de beaucoup d’économie ; elle assure de tout temps le commandement de la Manche. » Le personnel militaire et marin qui se groupe autour de l’escadre avancée est d’ailleurs considérable : il comprend 2,500 soldats de marine, 2,000 matelots provenant des gardes-côtes, et 500 canonniers-marins embarqués sur le vaisseau-école d’artillerie Excellent. — Des renseignemens plus récens nous apprennent qu’on va augmenter de 10,000 hommes le chiffre des régimens de ligne anglais, et de 2,400 l’effectif de l’artillerie ; le corps des soldats de marine va être aussi augmenté dans une proportion notable, et l’amirauté vient de donner des ordres pour développer dans la même mesure les forces navales. En outre, à la suite de fréquentes communications échangées entre le duc de Wellington, commandant en chef de l’armée britannique, et le général Burgoyne, inspecteur-général des fortifications, il aurait été décidé qu’on établirait trois camps retranchés dans les environs de Londres, pour mettre cette capitale à l’abri d’un coup de main. — L’épouvantail de l’Angleterre est toujours, on le voit, l’arrivée d’une armée française sur son territoire, et elle a hérissé ses côtes de forts, de vaisseaux et de ports fortifiés ; elle a fait plus : Cherbourg, disait-on, était un œil pour voir et un bras pour frapper ; elle a voulu avoir à son tour et cet œil et ce bras en vue de Cherbourg même. Elle a choisi Jersey : elle y a créé un magnifique bassin en pleine côte, capable de défier les coups de vent de la Manche et de contenir 20 frégates à vapeur ; elle y a bâti une tour de cent mètres d’élévation, permettant de suivre, à trente-six milles de distance, tous les mouvemens de la rade de Cherbourg.

Que conclure des exemples que nous donne en ce moment l’Angleterre ? Il nous semble qu’ils résument assez bien la pensée qui doit diriger, même en pleine paix, un grand pays soigneux de sa puissance maritime. L’Angleterre n’épargne rien, quand il s’agit de fortifier son armée ou sa flotte. Ce que la crainte d’une guerre d’invasion a été pour elle, la préoccupation d’une guerre de course ou d’escadre doit l’être pour nous. Il est beau sans doute d’avoir foi en soi-même ; mais la France, en plus d’une occasion, a poussé ce sentiment trop loin, et il importe qu’elle sache aujourd’hui le concilier avec le développement de plus en plus régulier des vrais élémens de sa puissance maritime et militaire.


Comte BOUËT-WILLAUMEZ,

Capitaine de vaisseau, ex-commandant de l’escadre des côtes occidentales d’Afrique.