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sortie la France : Duas res gallica gens industriosissimè persequitur, rem militarem et argutè loqui ; « la nation gauloise est singulièrement habile à pratiquer deux choses, le métier des armes et le beau langage. » Et cinq siècles après, dans le déclin avancé de l’empire, un Gaulois éloquent, Drepanius Pacatus, justifiait cet éloge en apportant au milieu du sénat de Rome ce qu’il appelle modestement la rudesse inculte du langage transalpin : Rudem et mutlum transalpini sermonis horrorem, et ce qui, dans la réalité, par la noblesse des sentimens et de l’expression, faisait honte[1] aux descendans dégénérés des Hortensius et des Cicéron.

Cette ancienne idée, d’un goût et d’un talent de parole indigènes en France et estimés presqu’à l’égal de l’énergie guerrière, entra pour beaucoup, on peut le croire, dans le dessein du grand homme d’état qui, après avoir tant élevé le royaume de Louis XIII en Europe, s’occupa surtout d’y favoriser la science et les lettres, et crut le faire en fondant l’Académie ; c’est même là surtout le rapport de pensée, l’intérêt de politique et de gloire qu’il découvre et met en avant dans le préambule de l’ordonnance d’institution signée par Louis XIII, en janvier 1635. « Il nous a représenté (notre très cher et, très aimé cousin, le cardinal de Richelieu), dit le roi en tête de cet acte, qu’une des principales marques de la félicité d’un état était que les sciences et les lettres y fleurissent en honneur, aussi bien que les armes, puisqu’elles sont un des principaux instrumens de la vertu. »

Par là, sans doute aussi, se justifiait la devise que le cardinal donna dès l’abord à sa fondation, ce mot d’immortali qu’on a tant accusé de vaniteuse prétention, et qu’en effet bien peu de talens, même applaudis de leur vivant, sont sûrs de mériter, mais qui convient essentiellement à toute institution généreuse, en conformité avec l’esprit d’une race et d’un pays ; car une telle institution emprunte nécessairement quelque chose à la vie puissante, à l’hérédité continue du peuple qu’elle représente dans un de ses caractères distinctifs.

Il est à remarquer, du reste, que cette institution fut ainsi jugée, dès les premiers temps, en France et à l’étranger ; on exagéra même l’influence qu’elle pouvait avoir sur la langue et le goût, et on lui fit honneur des grands génies qui l’avaient précédée ou se seraient fort bien produits sans elle. Un écrivain du temps de Charles II encore fort estimé en Angleterre, le premier historien de la Société royale de Londres, ne parle qu’avec grand respect « de l’Académie française de Paris, dit-il, cette fondation du grand cardinal dont lui-même, parmi tous ses soins pour constituer et agrandir la monarchie de France, se

  1. Assistere obversarique dicturo Catones ipsos Tullios atque Hortensios arbitrer, qui me in posteris suis audiunt. (Drep. Pacat., ap. panegyricos veteres.)