Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/106

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plupart des colonies britanniques. Les Antilles anglaises, sauf la Barbade[1], sont tombées à un degré plus ou moins grand de misère. La Trinidad, ce prodige de fertilité, se débat sous les étreintes de l’émancipation et fait des efforts inouis pour organiser son travail à des conditions tolérables : elle tire de l’Inde des légions de coulis[2] qu’elle emploie seuls ou met aux prises avec

  1. La Barbade est dans une condition tout exceptionnelle, et c’est à cela qu’elle doit d’avoir échappé au désastre général. Son sol est absolument plat ; il n’y a aucune forêt qui puisse offrir asile et alimens aux vagabonds. Toute l’île est plantée en cannes, divisée en propriétés closes et bien gardées. La population est immense ; supérieure par mille carré à celle de notre département du Nord, elle ne le cède qu’à celle des districts les plus peuplés de la Chine. Dès-lors, point de place pour les paresseux : il faut travailler, voler ou s’expatrier ; travailler est le plus sûr, et le noir de la Barbade travaille. Le planteur, trouvant la main-d’œuvre à bon marché (75 cent, par jour, nourriture comprise), se lance de son côté dans la voie des améliorations et lutte avec succès contre les colonies les plus favorisées.
  2. Les coolies ou coulis sont des travailleurs libres importés de l’Inde dans les colonies anglaises. On forme avec les coulis des contrats qui les lient pour un temps plus ou moins long par l’intermédiaire d’agens qui s’en font une spécialité. Une fois établis dans une colonie, ils sont justiciables des autorités du pays, qu’ils ne doivent pas quitter avant le temps prescrit, sous peine de perdre leurs droits au rapatriement gratuit. Les coulis importés à la Trinidad jusqu’à ce jour ont coûté fort cher : ils forment à peu près la moitié des travailleurs à la terre ; malheureusement ils sont livrés à eux-mêmes sans aucune loi ni règlement pour réprimer leurs habitudes de vagabondage. Les bons travailleurs ont perdu au moins le quart de leur temps à aller d’une habitation à l’autre, et les changemens de résidence n’ont presque jamais eu de cause sérieuse. La colonie est tenue de les renvoyer gratis dans leur pays, s’ils le demandent, après qu’ils ont toutefois justifié d’un séjour de cinq ans. Une enquête faite par le gouvernement en 1850 constate que pas un seul ne consentira à rester après le temps fixé. Malgré tous ces inconvéniens, les habitans propriétaires sont tous d’accord sur ce point, que les coulis ont sauvé la colonie. — Le gouvernement local a rendu récemment une loi pour subvenir aux dépenses qu’occasionnera l’introduction de mille coulis par an à partir de 1851. Les conditions seront plus favorables, puisque chaque individu ne coûtera que 9 livres (225 fr.), au lieu de 17 livres (425 fr.) qu’ont coûtées par tête les premiers Indiens. Les nouveaux travailleurs seront forcés de travailler sous peine d’une amende de 5 shellings (6 fr. 25 cent.) par mois, et, à défaut de paiement, ils pourront être mis en prison ou même condamnés aux travaux forcés en cas de rébellion. Les coulis ne travaillent pas plus que les nègres, mais on préfère en général leur ouvrage, parce qu’il est fait avec plus de soin. Les travaux hors de la récolte se font à la tâche, qui comporte sept heures de travail par jour et se paie 30 cents, soit 1 franc 62 cent. Dans le temps de la récolte, la tâche revient à 2 fr. 16 cent, par jour et est fixée d’après la quantité de vezou (jus de canne) que peut fournir la machine. Si les travailleurs ne remplissent pas leur lâche, ils subissent une réduction dans le salaire. La main-d’œuvre étant considérée comme trop chère à la Trinidad, il serait fort à désirer que l’importation des coulis fût assez forte pour que le salaire pût être abaissé d’un quart au moins. On a vu, en effet, que la colonie ne pouvait produire le sucre à moins de 3 piastres le quintal anglais, ce qui rend sa position précaire. Il est à remarquer aussi que les premières importations de coulis ont été mal faites. Les agens dans l’Inde ont envoyé un ramassis de gens de tous métiers et même des individus ne connaissant aucun métier, de véritables vagabonds, au lieu des laboureurs exercés qu’ils s’étaient engagés à fournir. Le gouvernement de la Trinidad a maintenant des agens à lui, et il est à peu près certain d’importer de bons travailleurs adonnés à l’agriculture dès leur jeunesse. Il reste environ huit mille coulis de la première immigration, et l’on voudrait en importer douze mille nouveaux, ce qui est jugé nécessaire, tant pour bien exécuter tous les travaux des champs que pour faire baisser le prix de la main-d’œuvre et établir une concurrence réelle entre les coulis et les noirs émancipés.