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rigoureuses, telles que l’emploi de tout vagabond dans les travaux publics. Les routes sont dans un état déplorable, et pendant long-temps encore pourront fournir de l’occupation pour bien des bras[1]. — Le percement des bois, le défrichement, doivent attirer une sérieuse attention, et l’on se souviendra que c’est au déboisement de son sol que la Barbade a dû son salut dans le désastre des colonies anglaises. La vanité et la passion des colifichets peuvent être aussi exploitées par des faveurs accordées à l’exportation sur une foule de menus objets.

Avant tout cependant il faut, dans l’ordre moral, faire appel à la charité des ministres de la religion, des missionnaires particulièrement. C’est par les sentimens religieux et la prédication que les États-Unis ont obtenu des résultats si remarquables et si satisfaisans à la côte d’Afrique, et ce sera toujours le meilleur moyen, le seul peut-être de mener à bonne fin l’expérience de l’émancipation.

Si on reste trop en arrière de la rude tâche que l’on a à remplir, voici sans doute ce qui arrivera. Les riches planteurs seront forcés d’abandonner leurs habitations et d’allotir leurs terres pour les louer en détail, comme quelques-uns l’ont déjà fait à la Guadeloupe et ailleurs. Les noirs alors se partageront en deux classes : les laborieux et les intelligens s’établiront sur quelques coins de terre dont la fertilité aide si puissamment au travail ; ils y bâtiront des cases pour eux et leurs familles, formeront un petit jardin potager, élèveront quelques volailles, et en très peu de temps n’auront plus rien à demander à personne. Quant aux paresseux, ils resteront dans leur état de vagabondage, jusqu’à ce que la misère et la maladie viennent en faire justice, comme à la Guadeloupe, à la Jamaïque, à Haïti. Alors le commerce et la navigation de la France avec ses colonies seraient perdus.

Quant aux colonies à esclaves, il est évident que l’on ne peut procéder avec trop de circonspection, afin d’éviter les secousses et de faciliter la transition. Si les colons espagnols consultent leurs intérêts, ils renonceront à un système qui fait dépendre le recrutement de la population noire de Cuba d’un recours incessant à l’expédient de plus en plus compromis de la traite. Pour les États-Unis, ils n’ont qu’à persévérer dans la bonne voie où ils sont, en cherchant encore à perfectionner les moyens mécaniques qui jouent déjà un si grand rôle dans leur industrie, et à substituer de plus en plus le travail libre au travail esclave. L’émancipation devenant imminente, ils l’auront ainsi rendue moins onéreuse pour eux et plus utile pour les affranchis ; ils n’auront plus alors qu’à s’applaudir d’avoir obéi à l’un des sentimens les plus honorables qui puissent naître dans le cœur de l’homme et du chrétien.


CASIMIR LECONTE.

  1. Parmi les facilités que rencontre le vagabondage, il faut peut-être compter aussi le grand nombre de cases inoccupées qu’on laisse ouvertes aux premiers venus. Plusieurs fois déjà il a été question de les brûler, car, lorsqu’elles ne servent pas d’abri aux noirs oisifs, ces cases deviennent des repaires de serpens qui, depuis l’émancipation, pullulent d’une manière effrayante, à la Martinique principalement, et causent des accidens assez nombreux.