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odieuses; elles ont détruit par le feu une assez grande quantité d’habitations que les propriétaires ruinés sont hors d’état de reconstruire, ce qui provoque forcément l’inculture des terres ; puis, lorsque la fougue des passions s’est un peu calmée, on est allé dans les bois vivre à l’état sauvage. Les ressources précaires de ces masses égarées ont été bientôt épuisées, et la misère, la maladie, sont venues à leur tour prêcher le repentir. On prétend qu’à la suite de ces deux années néfastes, où la colonie a été livrée aux plus cruelles alarmes, le dixième de la population noire aurait été moissonné; il est du moins de notoriété publique que la mortalité a été grande. Enfin, dans le courant de 1850, on a vu reparaître des symptômes d’activité régulière. On a replanté des cannes, on a engagé des ouvriers à des prix modérés (75 à 80 cent, par jour, nourriture comprise), et les affaires ont marché. Les derniers renseignemens constatent que les travaux tendent à se développer, et la main-d’œuvre à augmenter par conséquent. Toutefois on ne pensait pas pouvoir déliasser le chiffre de 45,000 barriques. On pensait que la Martinique pourrait se trouver dans des conditions analogues[1].

Absence presque complète de travail dans la plupart des colonies anglaises, ralentissement notable dans nos possessions, — ce sont là deux faits contre lesquels il n’est pas impossible, nous le croyons, de réagir dans une certaine mesure en interrogeant, à l’exemple des Américains, le caractère de la race noire et en s’appliquant à y conformer sa conduite.

Le nègre est doux et bon, surtout dans nos colonies, quand ses passions ne sont pas surexcitées; mais il n’a aucun sentiment de sa dignité d’homme. De l’absence de besoins matériels et d’amour-propre bien entendu résulte donc la grande plaie des colonies, le vagabondage. C’est là l’ennemi qu’il faut combattre à outrance, et ce n’est pas toujours chose facile, pour peu que les localités se prêtent à seconder les mauvais instincts. — Les immenses forêts de Saint-Domingue, de la Trinidad, celles même de la Martinique et de la Guadeloupe, quoique moins étendues, servent d’asile à des milliers de vagabonds auxquels elles fournissent de plus une portion de nourriture que complète la maraude de nuit. Les villes même, Saint-Pierre-Martinique entre autres, regorgent également de fainéans. — Il faut rendre à tout prix ces bras inoccupés au travail, et, puisque les circonstances paraissent plus favorables en ce moment, il faut les seconder avec énergie.

Le vagabondage[2] peut et doit être combattu par des mesures

  1. Ce qui a apporté quelque soulagement à certains planteurs, aux petits surtout, lorsqu’ils ont été placés convenablement, c’est la coopération qu’ils ont trouvée dans les usines centrales de l’ancienne compagnie des Antilles Ces usines sont au nombre de trois à la Guadeloupe et une à la Martinique; elles reçoivent toutes les cannes qu’on veut leur envoyer, en constatent le poids brut à l’entrée, et rendent au planteur 5 pour 100 de ce poids en sucre, ou bien elles en tiennent compte en argent au cours du jour. J’ai visité ces usines avec soin et intérêt; celles dites de Saint-Marc à la Guadeloupe, et de Fort-de-France à la Martinique, m’ont paru médiocrement installées et peu actives; celle de Bellevue (Guadeloupe) n’était pas encore rouverte, mais on se préparait à reprendre les travaux; quant à celle de Marly (Guadeloupe), elle était en pleine activité et administrée avec une grande intelligence.
  2. Il y a déjà un commencement d’atelier au Piton, près de Fort-de-France, à la Martinique, mais sur une trop petite échelle.