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On peut prévoir que ces peuples mêmes posséderont à leur tour la liberté religieuse ; mais leurs lois la repoussent, et il ne peut être question pour la France d’adopter ni la théocratie, ni une église dominante. La France n’a pas même consenti à une religion d’état, quand la charte de 1814 essaya de la lui imposer. Nos idées, notre civilisation, la marche incessante des esprits, résistent à tout régime de privilège et de suprématie, et ceux mêmes qui, au fond du cœur, en rêveraient l’établissement se garderaient de l’avouer.

De grandes nations ont proclamé le principe de la liberté des cultes, mais elles lui font subir les plus vives atteintes.

La loi de la Russie la consacre, mais sa politique lui est contraire. Une foule de sectes sont admises ; des religions aussi diverses que les populations de cet immense empire y dressent leurs autels. Pourtant on a vu, il y a quelques années, cinq millions de Grecs unis, catholiques et romains, sous le rite oriental, obligés d’embrasser le symbole de l’église grecque. Ceux qui se séparent de cette église sont frappés dans leur personne et dans leurs biens. On se souvient des persécutions infligées en Pologne à de pauvres religieuses. En 1850, la condition des Juifs a été améliorée par l’ukase qui les affranchit de d’obligation de porter un costume particulier ; mais ils restent encore sous le poids des restrictions humiliantes. La liberté se concilie d’ailleurs difficilement avec une église nationale, dont le tsar est le chef, et que dirige, sous son autorité, un saint-synode dont il nomme tous les membres.

Bien que la Prusse soit la terre de la liberté des opinions philosophiques et religieuses, les cultes n’y échappent point à l’action du pouvoir politique. L’église évangélique a été fondée par un édit de Frédéric-Guillaume III. Malgré les lois qui reconnaissent l’incompétence du gouvernement à l’égard du dogme et ne l’autorisent à veiller qu’au maintien « des sentimens de respect envers la Divinité, d’obéissance envers la loi, de fidélité à l’état, de bienveillance et de justice envers les citoyens, » le roi prend part à des discussions dogmatiques et prête ostensiblement son appui au culte qui sert le mieux sa croyance et ses doctrines politiques. L’état civil est encore entre les mains du clergé. Long-temps l’administration ecclésiastique est restée confondue avec celle des localités dans les mains des régences. Ce n’est que depuis 1845 qu’elle a été rendue aux consistoires, dont le gouvernement nomme tous les membres. L’église catholique, dans les provinces où elle compte de nombreux adhérens, n’a pas été à l’abri de la persécution : à côté d’opinions qui se produisent sans entraves, malgré leur audace, le culte ne jouit que d’une liberté contestée ; il y a peu d’années, les disciples de Hegel avaient un champ plus étendu que les dissidens catholiques ou protestans, et l’on pouvait dire qu’il était plus facile de nier Dieu que de le servir à son gré.