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de pensée ; ce n’était pourtant qu’un imitateur, mais il n’en était pas de l’imitation dans cette école comme dans les autres : c’est en effet ce qui constitue une différence importante entre les écoles où la contention l’emporte et celles où la réalité est le principe dominant. L’imitation n’est pas dans ces dernières aussi déshonorante ni aussi médiocre. Les écoles réalistes procèdent par l’observation : ces observations tombant, je le sais bien, dans un cadre uniforme et dans des formules tyranniques ; mais, comme toute observation a la personnalité pour point de départ, il y a toujours dans ce cadre et entre les formules une figure vraie, vivante et naturelle. C’est ce qui explique comment nous avons pu appeler Collerye un original imitateur. Du reste, il a bien des qualités qui lui sont propres, et s’il n’approfondit pas l’émotion, s’il traduit le premier sentiment qui lui vient à l’esprit et au cœur, ce sentiment est toujours logique, et l’émotion sincèrement rendue. S’il porte le cachet de sa position dans le monde si c’est un esprit décidément provincial et bourgeois, marchant terre à terre, là du moins il est franc et naturel. Il est maladroit, quand il a eut s’élever jusqu’à cette puissance de satire, à cette réalité brutale et inexorable des trouvères ; mais il a parfaitement réussi dans cette partie de l’art naïf qui est la légèreté. Et cette naïveté n’est pas lourde et savamment trivial, c’est la véritable naïveté des conteurs, fine et pleine de bonhomie, simple de cœur, si je puis dire, et malicieuse, comme la naïveté des natures bonnes en même temps qu’intelligentes. Il a gardé aussi ce qui fait pour nous le grand mérite de l a littérature du moyen-âge, cette sorte de calme et sereine tranquillité qui est en elle, et qu’elle fait goûter à ceux qui la fréquentent ; cette candeur et ce repos qui ramènent doucement notre souvenir aux heureuses années de la première jeunesse, et qui nous font prendre en haine notre littérature de passions fiévreuses et de cours ravagés. Il a mis au service de toutes ces qualités un style vif, énergique et vrai, coloré et naturel pourtant ; c’est incontestablement le plus grand mérite de sa poésie.

Ce qui a toutefois attiré notre attention sur Roger de Collerye, c’est moins encore l’importance littéraire que la valeur historique de ses œuvres. Toute sa vie jette une grande lumière sur ce point obscur de notre histoire qui est la lutte littéraire et morale contre la renaissance. Il assiste à la ruine du vieux monde, à la naissance de l’âge moderne ; il n’a peut-être pas sur conquérir un poste supérieur au milieu des accidens de cette révolution, mais il est placé de manière à nous en indiquer les détails : il nous instruit à la manière des chœurs antiques, qui, par leurs gestes, leurs plaintes, par leurs larmes souvent, par des interjections simples, sans grande harmonie et prétentions poétiques, enseignaient aux spectateurs ceux des événemens du drame qui se passaient dans la coulisse. Nous avons vu comment il se trouvait entre deux poétiques et aussi entre deux sortes de femmes complètement différentes. La poétique moderne le saisit d’abord ; avec sa musique harmonieuse, avec son amour dont les larmes mêmes sont un bonheur, elle paraissait la vraie chanson de la jeunesse ; c’était bien l’aubade qui devait réveiller la déesses Vénus, la Belle au bois dormant du moyen-âge, et c’était cette nouvelle poésie qui devait séduire toute nature poétique en sa fleur. Roger de Collerye, dans son entraînement vers la poétique de la renaissance, indique bien l’effet que devait produire