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gauche de l’Oued-Sidi-Salem, une des vallées qui s’ouvraient au nord-ouest de Tadjena. Le lieutenant-colonel Canrobert, voulant s’assurer de sa force, l’envoya reconnaître par le capitaine Lapasset, chef du bureau arabe, qui avait, outre ses cavaliers, trois compagnies d’infanterie, deux du 5e bataillon de chasseurs d’Orléans et une du 36e. Quelques groupes ennemis, d’où se détachaient un petit nombre d’éclaireurs, se montraient seuls. Du haut des pitons, les cavaliers arabes des deux partis commencèrent à échanger les injures. Leur voix, comme celle des héros d’Homère, portait à des distances fabuleuses les malédictions et les menaces. Bientôt pourtant la poudre parla à son tour, mais avec mollesse ; les tirailleurs ennemis se retiraient peu à peu, cherchant à attirer nos soldats vers une suite de ravines et de contre-forts d’où l’on pouvait les harceler à coup sûr et les couper du camp. Heureusement les officiers, vieux renards d’Afrique, étaient habiles à sentir la ruse. Ils n’avançaient qu’avec précaution, se tenant toujours sur leurs gardes, quand d’une ravine déboucha tout à coup sur eux une charge furieuse que le Bou-Maza menait en personne. Mohamed-ben-Hini, le fameux et redoutable agha des Beni-Hidja, l’agha Oulid-Derbal, renommé pour sa courageuse audace, étaient avec lui. La petite troupe, faisant bonne contenance, serra les rangs ; les fusils ne partaient qu’à coup sûr, chaque balle envoyait la mort. Neuf chasseurs d’Orléans furent tués, vingt-quatre sous-officiers et soldats blessés mortellement, tant la mêlée avait été rude. La perte des Kabyles fut plus sensible encore : Mohamed-ben-Hini tombait frappé de sept balles, et la baïonnette d’un chasseur faisait sauter l’œil et le crâne d’Oulid-Derbal. Leurs gens n’osèrent attaquer nos soldats, quand la reconnaissance se replia sur le camp.

Le lendemain, un convoi venant d’Orléansville devait suivre la route de Tenez. Le lieutenant-colonel craignait que l’ennemi, en s’embusquant dans les ravines durant la nuit, n’essayât de le couper ; mais les éclaireurs n’aperçurent nulle trace, et vers midi, quand de la grande halte on eut vu le convoi poursuivre tranquillement sa marche, la colonne se mit en mouvement dans la direction de la vallée de Sidi-Brahim. Au dire des espions, le Bou-Maza s’était porté de ce côté. Les nouveaux renforts envoyés par le colonel de Saint-Arnaud allaient permettre de le poursuivre plus vivement encore.

Le passage qui conduit de la vallée de l’Oued-Sidi-Salem à la vallée de l’Oued-Sidi-Brahim est dégarni de bois, c’est un col grisâtre et schisteux, raviné par les pluies, dominé par des crêtes dentelées. Un étroit sentier serpente à travers ces ondulations de terrain et débouche sur un petit plateau d’où l’on aperçoit la rivière, et sur les contre-forts opposés — le marabout de Sidi-Brahim. Autour de ce marabout, le