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de cinq à six ans, l’œil brun, le sourire malin, les dents d’ivoire, quelque chose de leste et d’accort qui vous intéressait à elle. La pauvre petite marchait seule, et de bien grosses larmes roulaient dans ses petits yeux. Un sergent qui parlait un peu arabe lui dit de bonnes paroles pour la rassurer. Alors l’enfant raconta qu’une balle perdue avait tué sa mère, que son père était mort percé par le sabre d’un chasseur à cheval, et qu’elle restait seule, ayant bien peur; puis aussi elle montrait son pied tout saignant, car en essayant de fuir elle s’était blessée. Il y avait tant de gentillesse dans cette enfant, que la pitié gagna le sergent: il la prit sur son épaule, et, quand un chasseur à cheval passa près de là, il la lui remit en dépôt, afin qu’elle pût continuer la route sans fatigue. Voilà notre petite fille fièrement campée à l’avant d’une selle, toute rassurée déjà, commençant à sourire et à jouer avec la barbe du chasseur. En arrivant au bivouac, ce fut bien une autre fête : le sergent vint la chercher, on soigna son pied, on lui donna de la nourriture, et, quand on repartit, la cantinière du bataillon l’emmenait sur ses mulets, et l’enfant réjouissait toute la compagnie par ses drôleries et sa bonne humeur. Tous l’aimaient. Le capitaine voulut l’adopter. Bien lui en prit, à ce brave capitaine. Il avait une sœur mariée et sans enfans. L’année d’ensuite, revenant en France, il amena la petite avec lui, et, comme toujours, elle exerça son charme. Le frère l’aimait, la sœur l’adora, ne voulut pas s’en séparer, et la retint de force. L’année dernière, la petite fille du Dahra, élevée, si je ne me trompe, dans un pensionnat de Tulle[1], devenait une jeune fille qui tenait toutes les grâces que l’enfant avait promises. Dans quatre ans, elle aura seize ans et de la pudeur, portera des robes longues, baissera les yeux, dansera la valse à deux temps, et se mariera par-devant M. le maire, toutes choses, sauf les seize ans, complètement inconnues dans le Dahra.

Les savans nient le mouvement perpétuel; évidemment les membres illustres de l’Académie des sciences n’ont point fait à cette époque les campagnes d’Afrique : ils ne douteraient plus de son existence. Une course finie, dans la nuit même une autre commençait. Cependant le Bou-Maza ne pouvait voir ruiner son influence sans essayer de lutter, et le 28 janvier, comme les troupes étaient revenues sur le plateau de Tadjena, point d’où rayonnaient alors toutes les opérations, des cavaliers du chérif annonçaient son retour en échangeant quelques coups de fusil avec nos tirailleurs. Le lendemain 29, l’ennemi couronnait les monticules couverts de mélèzes et de chênes verts, situés sur la rive

  1. M. Alexis de Valon, de si regrettable mémoire, m’a souvent parlé de cette enfant et de sa mère adoptive.