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magique et couvrant d’écume son frein d’or, un jeune homme paré avec une élégante recherche et suivi d’un assez grand nombre d’esclaves à cheval et à pied qui entouraient une litière vide. Il avançait au petit pas, et son port respirait la mollesse. Deux esclaves, marchant des deux côtés et presque sous les pieds du coursier, soutenaient un voile au-dessus de la tête de leur maître ; deux autres le précédaient pour abattre la poussière au-devant de ses pas, et répandaient sur le sol une eau parfumée.

Dès que Lucius eut aperçu la barque de son père, il mit son cheval au galop, et, se penchant sur les rênes, parut un cavalier plus exercé et plus ardent que n’aurait pu le faire croire la négligence de sa première altitude. Cependant une petite barque s’était détachée et avait apporté sur la rive les deux frères. Lucius se précipita vivement à bas de son cheval, et, après avoir touché les vêtemens et la barbe de Macer et baisé avec respect la poitrine paternelle, il fut pressé dans les bras de son père et dans ceux de son oncle, qui s’écriait en pleurant : — Non, Ulysse ne serra pas plus tendrement sur son sein le beau Télémaque après une longue absence !

Les deux frères et le jeune Lucius s’avancèrent vers une tente sous laquelle les attendait un festin somptueux que peu de temps avait suffi pour apprêter. Cette tente était placée à peu de distance du fleuve, au bas de la déclivité d’une colline, parmi de grands arbres qui balançaient dans les airs le chant de mille oiseaux. Des coussins de pourpre étaient amoncelés sur la terre verdoyante, et douze esclaves épiaient pour le prévenir le moindre souhait des trois convives. Les esclaves puisaient sans cesse dans un grand cratère plein de vin de Bordeaux, sur lequel flottaient des feuilles de roses, ou allaient, sur un signe de Macer, chercher une amphore précieuse contenant un nectar de Chios qu’avaient mûri trente consuls.

Pendant le repas, de belles esclaves, fières de paraître devant leur jeune maître, formèrent à l’entrée de la tente des danses gracieuses ; des baladins s’efforcèrent d’attirer son attention par des sauts prodigieux ou des contorsions comiques. Un affranchi, qui était le poète de la famille des Secundinus, vint humblement réciter une pièce de vers dans laquelle il fêtait la bienvenue de Lucius aux lares paternels. Ensuite en joua un mime que Capito avait composé pour la circonstance, en plaçant alternativement un vers grec et un vers latin ; tous les vers latins étaient tirés de Lucilius et tous les vers grecs de Lycophron.

Puis las convives, parés de couronnes de fleurs pour célébrer le joyeux retour de Lucius, remontèrent dans leur barque au moment où les premières ombres de la nuit s’étendaient sur les eaux. Bientôt la lune se leva, et ils glissèrent dans la blanche lueur accompagnés par l’autre barque, dans laquelle, parmi les sons des flûtes et des lyres,