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s’élevaient des voix mélodieuses qui entonnaient en chœur le chant de Vesper.

Quand le chant eut cessé, un moment de silence le suivit. Au milieu des fêtes et des marques de joie du retour, Macer et son fils étaient un peu inquiets de la disposition dans laquelle chacun d’eux allait trouver l’autre, après tant d’années d’absence et d’un commerce épistolaire si long-temps interrompu. Pour Capito, dont nulle réflexion n’avait le pouvoir de troubler la sérénité, il ne songeait en ce moment qu’à la beauté de son mime, qu’il avait eu le plaisir de voir exécuter fort convenablement, grâce aux soins infatigables qu’il mettait depuis un mois à préparer cette représentation. Étant celui des trois dont l’esprit était le moins occupé, il prit le premier la parole.

— Par Jupiter ! dit-il, car il nous est permis, à nous autres lettrés, d’invoquer le père des Muses, puisque tu reviens d’Athènes, beau Lucius, tu m’apparais comme un personnage vraiment divin ; tu ne me sembles pas un mortel, mais le fils d’un des dieux qui habitent l’Olympe, comme dit le poète.

— Que ne me compares-tu, dit en souriant Lucius, à Hermès venu du radieux Olympe dans les froides et ténébreuses demeures des Cimmériens, moi, transporté des brillans rivages de l’Ilissus, du pied de l’Hymette et du Pentélique, sur les rives brumeuses de ce fleuve des Gaules, aux extrémités du monde romain ! Mais, cher oncle, ce n’est plus un grand avantage d’être comparé aux dieux immortels, car, en dépit de leur nom, ils semblent bien près de mourir : la fumée des sacrifices monte rarement vers eux, et ils doivent dépérir d’inanition et de langueur. Les épicuriens ont commencé par leur refuser l’existence, et les remplacent, ô honte ! par des atomes et le hasard, soutenant que les uns si petits et l’autre aveugle ont fait tout ce que le vulgaire attribue à la sagesse des dieux. Puis sont venus d’autres athées plus dangereux encore, les chrétiens, qui, après avoir été long-temps le rebut de l’empire, la dérision du peuple, la matière des supplices et la pâture des lions, sont maintenant les favoris de César, du Jupiter terrestre, plus puissant aujourd’hui que le Jupiter du ciel. Que pouvaient faire les pauvres immortels contre des ennemis si divers et si puissans ? Je commence à croire, ce dont j’ai douté long-temps, que les Crétois, tout menteurs qu’ils sont, pourraient bien dire vrai en montrant dans leur île le tombeau de Jupiter. Mais, laissant les immortels aux mains de la destinée qui les gouverne ainsi que nous, dis-moi, mon cher oncle, pourquoi je t’ai paru si semblable à un habitant de l’Olympe ?

— Trois et quatre fois heureux, répondit Capito, celui qui, comme toi, beau Lucius, a vu le Pnyx, et le Pœcile, et le portique, s’est promené dans le Céramique et a dormi sous les platanes du jardin d’Académus !