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nous fîmes route vers l’île de Java, heureux de pouvoir comparer l’un à l’autre deux modes de colonisation qu’on ne saurait bien apprécier sans en avoir observé isolément les inconvéniens et les avantages.


I.

L’archipel des Philippines, situé entre les côtes de Chine et les possessions hollandaises, se compose de onze ou douze îles principales, entourées d’une soixantaine d’îlots, dont l’Espagne a formé trente-quatre provinces. Bien que séparées par une distance de quatre cents lieues des autres groupes, les Mariannes, où nous avions conduit, en 1848, la Bayonnaise, n’en sont pas moins rattachées par le lien administratif au gouvernement des Philippines. L’île de Luçon, dont Manille est la capitale, comprend à elle seule dix-neuf provinces. Ce chiffre suffirait à indiquer l’importance prépondérante de l’île de Luçon dans l’archipel espagnol : c’est moins toutefois le développement du territoire que le nombre des habitans qui assigne à cette île dans les Philippines le rang que, sous une autre administration. Java occupe dans les Indes néerlandaises. Sous les tropiques, la superficie et la fécondité des possessions européennes ne sont que des circonstances secondaires : toutes les îles sont fertiles, tous les territoires sont immenses. La richesse d’une colonie tropicale, c’est la population qui l’exploite. On appréciera donc plus exactement la valeur relative des divers groupes dont se compose l’archipel des Philippines par le chiffre des habitans inscrits sur les registres des paroisses que par les opérations les plus minutieuses du cadastre. Tout habitant qui ne figure pas sur le registre de la paroisse ne reconnaît point la loi espagnole ; c’est un membre inutile et souvent nuisible de la colonie. On a porté le chiffre de cette population indépendante à près d’un million d’ames. Dans ce chiffre sont compris les premiers possesseurs de l’archipel, — les Negritos, — les Tinguianes, dans les veines desquels on croit reconnaître du sang arabe, — et les Igorrotes, race malaise qui ne diffère de la population soumise que par le cachet que lui ont imprimé les habitudes de la vie sauvage. La population dont les recensemens officiels constatent le chiffre est tout entière catholique : c’est la seule qui paie les impôts, cultive la terre, obéisse aux autorités, la seule par conséquent qui doive nous occuper. En 1850, cette population, dispersée dans 34 provinces et dans 695 villages, comprenait 3,600,000 âmes.

On distingue trois groupes principaux dans les Philippines : l’île de Luçon au nord, Mindanao au sud, et, séparant ces deux grandes îles, le groupe intermédiaire des Bisayas. Nous avons déjà dit que l’île du Luçon renferme à peu près les deux tiers de la population catholique de l’archipel, 2,330,000 âmes. Il est tel village de Luçon qui, sous ce