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jambes fines, à l’œil vif, race amoindrie et non dégénérée des campagnes andalouses, erraient librement à travers la plaine. On rencontre toujours de nombreux bestiaux dans les grandes propriétés de l’île de Luçon : ces troupeaux assurent aux haciendas voisines de Manille un revenu facile et leur donnent je ne sais quelle apparence patriarcale.

Nous ne pûmes passer qu’un jour à la Jala-Jala. La nuit même qui suivit notre arrivée, pendant que nous goûtions les douceurs. du sommeil sous le toit hospitalier de M. Vidie, nos pirogues doublèrent la pointe de la presqu’île, et, remontant le long de la côte, allèrent nous attendre au pied du versant oriental des montagnes dont nous devions franchir la crête à cheval. Nous gagnâmes à cette combinaison quelques heures de repos, et avant le lever du soleil nous nous trouvâmes tout prêts à continuer notre voyage. On avait amené des pampas, où ils paissaient en liberté, quatre poneys au pied sûr et à l’humeur débonnaire. Nous gravîmes lentement le penchant des collines où l’ombre des grands arbres entretenait encore une douce fraîcheur; l’autre versant s’abaissait vers la plage par une pente moins rude : nous le descendîmes au galop, et, chargeant notre guide de tous nos remerciemens pour M. Vidie, nous rentrâmes encore une fois dans l’étui de nos bancas. Le troisième bassin de la Laguna était devant nous : nous devions le traverser, gagner l’embouchure de la rivière qui descend des hauteurs de Majaijai et arriver avec nos pirogues jusqu’au chef-lieu de la province de la Laguna, jusqu’à la cabecera de Pagsanjan.

En moins d’une heure, nous avons atteint la partie la moins profonde du lac, et nous naviguons au milieu des rizières. Des nuées de canards s’envolent devant nous; les poules d’eau montrent moins de méfiance. Comme le Tagal, elles paraissent avoir conservé la simplicité des premiers âges de la création. Funeste innocence, qui suffit pour éveiller dans nos cœurs le besoin de détruire! C’est avec des larmes dans la voix que l’un de nous demande ses capsules; l’autre vient d’introduire une double charge dans son fusil; un troisième, moins maître encore de ses sens, saute à terre. Tout occupé de prendre à revers ces longues files d’oiseaux aquatiques qui cinglent sans crainte le long du rivage, il s’inquiète peu du chemin par lequel ses coups doivent passer. Ce n’est que du petit plomb! s’écrie-t-il, pendant qu’autour de nous et sur le toit de nos bancas ce plomb égaré tombe et crépite comme de la grêle. Trente victimes gisent déjà au fond de nos pirogues; de nombreux blessés s’enfuient dans les roseaux. Le désir seul d’atteindre Pagsanjan avant la fin du jour peut mettre un terme à ce massacre.

Nous entrons enfin dans la rivière qui doit nous conduire à notre nouvelle étape. Quels flots purs et limpides! quelles rives doucement ombragées! que tous ces oiseaux perdus dans le feuillage égaient bien les vertes banderoles qui frémissent quand ils passent! Sous les tropiques, si je voulais me rappeler la patrie absente, c’étaient toujours