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introduisit dans son presbytère, qui, suivant la coutume, confinait à l’église. Ce presbytère était la seule maison en pierres du village. Au milieu des cabanes de bambou dans lesquelles vivait dispersée une population de six ou sept mille âmes, cet édifice semblait le château féodal dont les créneaux dominaient jadis la commune. Le couvent est en effet le palladium du village tagal. Qu’une troupe de bandits sorte à l’improviste des forêts, que les pirates de Soulou débarquent sur les côtes, et les cloches de l’église se mettent aussitôt en branle. C’est le premier devoir du curé de donner ce signal d’alarme : à l’instant, la population accourt; les murailles du couvent sont les seules qui puissent soutenir un siège. Les femmes, les enfans trouveront un asile assuré dans cette enceinte, les hommes en sortiront pour marcher à l’ennemi.

Le curé de Santo-Tomas avait été choisi dans les rangs du clergé séculier. Il y avait si peu de sang tagal dans les veines de don José, qu’on l’eût pris pour un fils du pays plutôt que pour un mestizo. Si le clergé indigène ne comptait que de pareils pasteurs, le gouvernement des Philippines n’aurait point à regretter l’influence dont les prêtres indiens ou métis disposent. Le padre don José joignait à une exquise urbanité un esprit vif, un jugement sûr et pénétrant, qui prêtèrent un singulier intérêt aux trop courts instans que nous eûmes l’occasion de passer dans le couvent de Santo-Tomas. Ce furent les regrettables querelles des ordres religieux et de l’archevêque de Manille qui amenèrent aux Philippines la création d’un clergé séculier. Le gouvernement d’Espartero, qui avait des raisons mieux fondées que celles de l’ancienne monarchie pour redouter l’influence des moines dans les colonies espagnoles, montra, dès son avènement, une grande tendance à favoriser ces prêtres indigènes. Une réaction que je crois salutaire eut lieu après le triomphe définitif du parti modéré en Espagne. La cure de Santo-Tomas était trop importante pour qu’on ne l’enviât point à un prêtre métis; mais l’ordre admirable, la propreté, l’apparence de bien-être qui régnaient dans cet heureux village, prouvaient assez qu’il y aurait plus de dangers que d’avantages à donner à Santo-Tomas un autre pasteur. Trouvez-vous sur votre passage les chemins bien entretenus, les rues balayées, les maisons alignées au cordeau, les Tagals mieux vêtus et plus actifs, soyez sûr que la paroisse a dans son curé un bon administrateur. Sans doute, ce n’est point le curé qui prescrit et dirige les corvées; il lui suffit de stimuler et de conduire le gobernadorcillo. Cet officier municipal est en même temps le despote du village et le serviteur empressé du curé. Les ordonnances coloniales recommandent aux préfets des provinces de traiter avec considération ces fonctionnaires indigènes, de les faire asseoir lorsqu’ils ont à conférer avec eux, « de tenir la main à ce que les curés ne négligent point non plus