Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/289

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de l’Angleterre qui ont été frappées au cœur. La pensée politique qui avait présidé à l’occupation de Laboan entraînait comme conséquence le protectorat de Soulou. Les Anglais auraient eu de cette façon un pied dans les possessions espagnoles, et l’autre dans les Indes néerlandaises. C’est au général Urbistondo que revient l’honneur d’avoir prévenu par son énergie une fatale complication.

L’irritation et la défiance qu’inspirent au gouvernement de Manille les menées des agens anglais sont faciles à comprendre. Plus les Philippines ont acquis de prix aux yeux des Espagnols, plus ils craignent qu’on ne leur en dispute un jour la possession. Ces ombrages sont encore une des causes qui entravent dans ces colonies lointaines l’extension des relations commerciales. Le port de Manille est le seul dont l’accès soit permis aux navires étrangers; c’est sur ce marché que se concentre tout le commerce extérieur des Philippines. Le chiffre des échanges, importations et exportations réunies, n’y dépasse pas 36 millions de francs, et, malgré des droits assez élevés, les recettes de la douane représentent à peine, année moyenne, 1,200,000 ou 1,500,000 fr. C’est ailleurs qu’il faut chercher la principale source des revenus coloniaux. Une estimation modérée en porte le chiffre à près de 30 millions. Le monopole du tabac figure dans cette somme pour 19 millions; le vin de coco pour 4; l’impôt direct et les fermes des jeux ne représentent pas, réunis, plus de 5 millions. Le budget colonial a été estimé, avec l’achat du tabac, à 16 mitions. La métropole devrait donc recevoir chaque année des Philippines un excédant de 14 millions; mais l’Espagne a escompté d’avance les bénéfices de son établissement. De nombreux salaires, des pensions considérables sont portés à la charge du trésor de Manille; des traites, pour une valeur de 3 ou 4 millions, sont tirées de Madrid sur le crédit colonial. Les fabriques de la Péninsule reçoivent chaque année des Philippines 2 ou 3 millions de kilogrammes de tabac, qui représentent en Europe une somme de 5 ou 6 millions. Je ne sais si l’excédant net des recettes s’est jamais élevé à 3 ou 4 millions de francs. Ces questions de chiffres sont d’ailleurs secondaires : ce sont moins les ressources présentes que l’avenir des Philippines qu’il s’agit de constater. Cet avenir s’ouvre à peine; les progrès seront lents, mais on peut les tenir pour assurés. L’Espagne possède dans les mers de Chine plus qu’une colonie, elle possède une province espagnole. Sa domination a été fondée dans ces contrées lointaines par la prédication religieuse : elle s’y perpétue par des bienfaits. L’ambition de l’Angleterre ne prévaudra pas contre elle.


E. JURIEN DE LA GRAVIÈRE.