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Quand tout avenir se fermait devant lui, il lui était indifférent d’être égorgé près de son foyer par les Barbares ; assis dans son atrium, il les attendait d’un air impassible, se comparant intérieurement aux sénateurs romains attendant sur leurs chaises curules les Gaulois maîtres du Capitole.

Pour Capito, dont l’arrivée des Francs avait brusquement dérangé les divertissemens littéraires, il semblait ne rien concevoir à ce qui se passait autour de lui. Il était comme un homme réveillé en sursaut, et dont les premières paroles continuent un rêve interrompu. Tantôt il lisait des phrases du discours de Glabrio et de son propre panégyrique ; tantôt, ramené par quelque circonstance au sentiment de la calamité présente, il y faisait de classiques allusions en récitant des vers du second livre de l’Enéide sur la prise de Troie. La frayeur avait troublé ses idées, mais elle n’avait pu lui en donner de nouvelles. Lucius, négligemment renversé sur quelques coussins aux pieds de Macer et tenant un glaive magnifiquement orné, attendait le moment de défendre son père, et c’est tout au plus si la terrible situation où il se trouvait l’empêchait de sourire en entendant les exclamations mythologiques et les citations incohérentes de Capito.

Gundiok, suivi de ses Francs, se précipita dans l’atrium, et s’élança vers Macer, qui demeura immobile. En un clin d’œil, Lucius fut debout, et para de son glaive le coup destiné à son père. L’arme brillante se brisa dans sa main sous le coup terrible de l’arme barbare. Gundiok sourit, regarda fixement Lucius, et fut frappé de l’intrépidité tranquille et insouciante du jeune Romain, qui avait osé opposer à sa force une si fragile défense. Ce courage lui plut, et il lui prit fantaisie d’épargner Lucius et sa famille. Un signe de protection avertit les Francs ; quelques-uns s’emparèrent des trois Secundinus, et, tandis que leurs compagnons se dispersaient dans l’habitation pour la piller, ils emmenèrent avec eux les captifs ; des esclaves qu’on avait surpris cachés dans quelque coin de l’habitation furent entraînés avec leur maître. Bléda marchait parmi les Francs qu’il avait guidés. Hilda, échappée par miracle au massacre des chrétiens dans l’église de Trêves, vint volontairement se joindre à la petite troupe qui, d’un pas rapide et silencieux sous la conduite des Barbares, s’avançait vers les montagnes.


VI.


Après quelques jours d’une marche pénible, les Francs arrivèrent aux confins de la forêt Hercynienne. Les traces de la vie barbare, mêlée à quelques rudimens et à quelques débris de civilisation, donnaient à ce pays une physionomie singulière. Ici l’on voyait des portions vierges de la forêt, formées de chênes séculaires, de sapins gigantesques ; là, des espaces libres dans lesquels on avait employé le feu pour abattre