Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/299

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les troncs, et où subsistaient des vestiges de défrichement et les restes d’une culture essayée un moment et bientôt abandonnée par l’inconstance barbare. Au centre, une vaste enceinte palissadée renfermait les troupeaux de la tribu et les produits variés du pillage. Çà et là dans les clairières, au bord des marais, s’élevaient des huttes mobiles couvertes de branchages ou de roseaux dans lesquelles se trouvaient quelques instrumens d’une industrie imparfaite, et tandis que des chariots servaient encore de demeure à ceux qui conservaient le plus fidèlement la simplicité des aïeux, des masures grossièrement bâties attestaient, chez quelques autres, le désir d’imiter les habitations sédentaires des Romains.

Les Francs établis dans cette contrée avaient fait la guerre au service de l’empire. Les hauteurs imprudentes et l’avarice mal entendue de l’administration romaine les avaient rejetés dans les forêts, et ils gardaient, au sein de leur existence actuelle, quelques habitudes de leur première condition. Ils affectaient de reproduire certains usages militaires de l’empire ; presque tous avaient parmi leurs armes, outre la framée et l’épieu germain, la pique ou le glaive du légionnaire. Les termes latins du commandement leur étaient restés, très altérés, il est vrai, par la rudesse de leur prononciation. Enfin les vices des Romains s’étaient entés sur leurs propres vices. Rien n’est pire qu’un Barbare civilisé à demi.

C’était surtout chez leur chef Viriomar que ces prétentions étaient marquées et souvent risibles. Affublé, par-dessus sa tunique franque, d’un baudrier romain usé par le temps, il portait un casque de centurion dont le cimier avait été brisé, et, dans les jours solennels, il s’attachait des sandales qui gênaient un peu l’agilité naturelle de sa marche. Il ne parlait jamais des Romains qu’avec mépris et colère ; mais il aimait beaucoup à en parler, à raconter qu’il avait été passé en revue par l’empereur Valens et avait monté la garde devant la tente de l’empereur Gratien. Du reste, intempérant comme un Barbare et débauché comme un Romain, il alliait les instincts brutaux des races sauvages aux débordemens raffinés des générations corrompues.

Les prisonniers furent momentanément confiés aux Francs de Viriomar. La bande de Gundiok, aussitôt l’expédition terminée, était partie pour une grande chasse qui devait durer plusieurs semaines. Les premiers jours furent employés, par Viriomar et les siens, à se partager les objets précieux enlevés pendant le pillage de Trêves, et à vider dans de longs banquets quelques-uns des tonneaux de vin de la Moselle, qui provenaient de ce pillage. Pendant ce temps, on fit peu d’attention aux captifs. On les avait enfermés dans la grande enceinte centrale avec les bestiaux dérobés, en attendant qu’on prononçât sur leur sort, qu’on décidât quels seraient leurs travaux et leurs maîtres.