Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/320

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Lucius, éperdu d’amour, la pressait de répondre. Pleine de trouble, elle balbutia quelques mots de différence de rangs, de maître et d’esclave ; mais Lucius lui ferma la bouche en lui disant : — C’est moi, Hilda, qui suis maintenant ton esclave. C’est toi qui es libre et maîtresse dans ces forêts. Nous avons changé de condition. Le monde, ajouta-t-il en souriant, semble vouloir faire comme nous, et l’empire passer aux Barbares. Hilda, tu m’as conservé la vie, tu m’as ouvert le ciel ; j’ai besoin de toi pour la vie et pour le ciel. — Hilda était de plus en plus troublée. — Et qui, dans cette solitude, bénirait l’union de deux chrétiens ? dit-elle en rougissant. — Il faut fuir, Hilda, s’écria Lucius ; il faut fuir ensemble. Tu. me guideras à travers les détours de cette forêt, qui est ta patrie, et moi je te protégerai contre les animaux farouches ou contre les Barbares ; procure-moi un arc ou un javelot, et je te nourrirai de ma chasse. Nous pêcherons le poisson des torrens, nous cueillerons les fruits des arbres sauvages. Marchons ensemble à travers ces solitudes en nous tenant la main ; nous vivrons comme Maxime et Priscilla, jusqu’à ce que nous trouvions un prêtre chrétien qui fasse de nous deux époux chrétiens.

Hilda voyait mieux que Lucius toutes les difficultés de cette fuite ; mais les obstacles et les dangers ne pouvaient rien sur ce cœur intrépide ; bravés avec Lucius, ils étaient pour elle pleins de douceur. Un seul motif combattait dans son esprit le plan de Lucius, c’était le désir de convertir sa tribu. Elle se reprochait de laisser le champ avant la moisson ; elle craignait que Dieu ne la punît de cet abandon, et que la punition ne s’étendît à Lucius. En même temps, elle sentait qu’il n’y avait pas d’autre parti à prendre pour eux, et qu’après un pareil entretien ils ne pouvaient plus demeurer comme par le passé. Il fallait s’unir ou se séparer, et se séparer, était-ce possible ?

Une pensée, qu’elle ne communiqua pas à Lucius, tira Hilda de ces perplexités. Le jour où elle avait apparu à Gundiok sous le chêne, la harpe du vieux scalde à la main, Gundiok avait été frappé subitement de la beauté d’Hilda ; il avait ressenti une impression pour lui nouvelle en l’entendant parler et chanter en inspirée, au milieu des Francs étonnés et ravis. Jusqu’à cette heure, le cœur de Gundiok n’avait battu que pour la chasse et la guerre. On sait qu’un jeune Germain eût rougi de faire attention aux femmes avant l’âge de vingt ans, et d’offrir à une jeune fille de sa nation une main qu’il n’eût pas trempée plusieurs fois dans le sang de ses ennemis. Une chaste jeunesse disposait ces peuples aux attachemens profonds. L’amour de Gundiok fut soudain et violent, comme tous les sentimens qui venaient assaillir les âmes des Barbares, et peu de jours avant celui où eut lieu entre Hilda et Lucius l’entretien que je viens de raconter, Gundiok, ayant par hasard rencontré la chrétienne, avec l’impétuosité de