main à Lucius, qui, avec un geste passionné, serra cette main sur son cœur. Il ne pouvait quitter la jeune fille et la contemplait avec un ravissement inexprimable, tandis qu’elle baissait les yeux à terre, s’efforçant de vaincre son trouble par la prière et ne trouvant plus de mots pour prier. Tout à coup un bruit qui se fit entendre à quelques pas d’eux tourna leurs regards de ce côté. Deux hommes sortirent du bois touffu qui les entourait : c’étaient Gundiok et Bléda.
Bléda s’était aperçu de la passion jalouse du chef franc, et, concevant l’espoir de se venger à la fois d’Hilda et d’un Secundinus, il avait attisé celle passion par ses discours. Depuis plusieurs jours, il les observait tous deux à leur insu, et il avait révélé à Gundiok leurs entretiens prolongés dans la Vallée-Noire. Il lui avait appris que là était la tombe de Macer, et l’avait amené pour les observer, pensant que ce qu’il apercevrait de leur innocent amour ne pourrait manquer d’enflammer sa colère. Un hasard funeste avait servi Bléda, et il avait eu la joie de voir une affreuse colère se peindre sur le front du terrible chef, à mesure qu’il lui traduisait dans sa langue les discours d’Hilda et ceux de Lucius. Leur projet de fuite avait mis le comble à la rage de Gundiok. Enfin, quand il les avait vus se prendre la main en se regardant avec amour, hors de lui, il s’était élancé du bois où il était caché. D’un bond, il vint tomber à quelques pas de Lucius, pâle de fureur, lançant des regards semblables à ceux d’une hyène qui fond sur le chasseur, brandissant de la main droite sa framée et tenant de la gauche un javelot, suivant l’usage de sa nation. Lucius le regardait avec une intrépidité qui semblait le défier encore. Ces deux jeunes hommes, beaux et fiers tous deux, mais d’une beauté et d’une fierté différentes, demeurèrent quelques instans face à face et immobiles, ne pouvant se rien dire, car l’un n’entendait pas la langue de l’autre, mais exprimant tous deux par le regard la haine et l’orgueil. Hilda épouvantée levait les yeux au ciel, dans une attente pleine d’angoisse. Gundiok, qui eût voulu insulter par ses paroles le Romain avant de le frapper, s’élança sur la tombe de Macer, et la foula aux pieds devant lui. Lucius ne pouvait recevoir un outrage plus sensible à sa piété filiale et à son orgueil de patricien. Furieux de son impuissance à rendre injure pour injure, il parvint à mettre tant de mépris dans son regard, et dans sa bouche muette une telle expression d’insulte, que Gundiok le comprit. Aussitôt sa framée vint frapper Lucius et le fit rouler à ses pieds. À cette vue, Hilda redevint un instant la femme barbare, la lionne des forêts : elle se précipita sur Gundiok pour le déchirer. Gundiok, après avoir lancé sa framée, s’était mis en défense, par habitude, en présentant le fer du javelot, dans l’attitude d’un Frank se préparant au combat. Le mouvement d’Hilda avait été si prompt, qu’avant que Gundiok eût pu retirer son javelot,