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le fer était entré dans le corps de la jeune fille, qui, blessée mortellement, alla tomber près de Lucius.

Bléda, craignant le désespoir de Gundiok, s’enfuit plein de peur et de joie. Quand Hilda sentit le froid du fer dans sa poitrine, l’élan de fureur qui l’avait possédée un moment s’arrêta. Son sang qui coulait rafraîchit son ame et la calma. Sûre maintenant de mourir avec Lucius, sûre de célébrer avec lui dans le ciel les noces sans fin, elle ne ressentait plus aucun désir de vengeance, elle était radieuse d’espérance, et se penchant vers lui : — mon Lucius, lui dit-elle, ce n’est pas en ce monde que nous devions être unis, c’est dans le sein de notre père céleste. Qu’il soit béni, Lucius, de nous faire mourir ensemble ! Peut-être, Lucius, si nous étions restés sur la terre, tu te serais repenti un jour d’avoir épousé la pauvre esclave, la grossière Barbare ; mais dans le ciel il n’y a plus ni maître, ni esclave, ni Romain, ni Barbare ; il n’y a plus que des âmes qui s’aiment au sein de Dieu. Allons donc ensemble avec joie nous aimer à jamais dans le ciel ; donne-moi ta main, ô mon époux bien-aimé, et dis-moi que tu crois, ainsi que moi, qu’après nous être endormis dans notre couche sanglante, nous allons nous réveiller parmi les chants des anges ! — Et Hilda mourante souriait à Lucius avec une merveilleuse douceur, et la sérénité de la foi se confondait dans son regard avec l’ivresse de l’amour.

L’agonie du jeune Romain n’était pas si douce, car sa foi était loin d’être aussi assurée : c’était une exaltation passagère qui lui avait fait illusion sur sa croyance. Son ame, accablée par la douleur, s’était tournée vers une espérance qui le consolait ; mais cette ame, durant toute une vie dominée par les influences païennes, avait reçu trop profondément l’empreinte de la mollesse et de l’incrédulité pour pouvoir embrasser facilement la foi du Christ. L’amoureux Lucius, en écoutant Hilda, avait cru entendre la voix de Dieu, mais il avait besoin du bonheur terrestre pour croire aux joies célestes. Perdre Hilda au moment où il allait la posséder était un coup de la destinée qui le rejetait dans le désespoir. Cependant l’accent irrésistible des paroles d’Hilda mourante agissait sur lui. Ce qui se passa alors dans cette ame flottante et partagée, nul ne le saura jamais. Lucius, attachant son regard passionné sur Hilda, semblait faire effort pour croire à force d’aimer. Enfin quelque chose parut se décider en lui et triompher. « Je crois, dit-il en fermant les yeux, je crois au Dieu d’Hilda, » et il ne les rouvrit plus.

Quand elle eut vu mourir Lucius, Hilda se mit à prier Dieu d’une voix défaillante, lui demandant pardon de son dernier mouvement de colère, et implorant la grâce de ne pas beaucoup attendre pour rejoindre son bien-aimé.

Pendant ce temps, Gundiok la regardait avec égarement. Son ennemi était mort, il était vengé, et devant lui était couchée sur la terre