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habitant de cette ville, fit imprimer dans les journaux qu’à l’avenir il ne paierait plus les dettes de sa femme. La dame ainsi outragée était d’une famille considérable du Kentucky. « C’est une insulte au Kentucky tout entier, dit avec chaleur un habitant de ce dernier état qui se trouvait à table à côté de M. Johnston, et nous verrons bientôt ce qui en résultera. » En effet, quelque temps après, la législature du Kentucky, en réponse à l’insulte du mari fatigué des prodigalités de sa femme, promulgua une loi portant que le refus par un époux de payer les dettes de son conjoint serait à l’avenir considéré comme un motif de divorce. Depuis les temps des guerres de Messénie, on n’avait rien vu de pareil. Cette toute-puissance des femmes est tyrannique, capricieuse, et produit souvent des résultats excentriques; mais en même temps il est facile de voir qu’elle est une digue contre la barbarie et un lien d’association chez un peuple où les tendances à l’extrême indépendance et à l’isolement moral sont poussées jusqu’à la dernière limite, où le respect et la déférence sont encore confondus avec la servilité. La tyrannie de l’opinion publique et la toute-puissance des femmes sont les deux forces morales qui assouplissent et contiennent le caractère indomptable et l’humeur sauvage des Américains.


III. — TENDANCES RELIGIEUSES.

Nous n’avons que peu de chose à dire sur le progrès intérieur de ce pays : c’est un progrès de nature tout industrielle. On sait ce que les Américains sont capables de faire dans tous les emplois matériels de l’énergie humaine : rail-ways, canaux, steamers, marine marchande, télégraphes électriques, ingénieux mécanismes de tout genre, défrichement des terres. Leur activité, ou, pour mieux dire, leur célérité tient du prodige. Le progrès est réel; pourtant il a un défaut, il est précipité et fiévreux. Tout ce qu’ils font est précaire et n’a pas de stabilité : leurs chemins de fer sont pour ainsi dire provisoires; leurs terres et leurs fermes ne sont point des établissemens, mais des sortes de caravansérails, des lieux de passage où l’on récolte un gain à la hâte et qu’on abandonne aussitôt après. La trop grande richesse du sol leur est une occasion non de paresse, mais de nomadisme et de vagabondage. On songe moins à cultiver une terre et à la mettre en bons rapports qu’à l’épuiser pour lui faire rendre tout ce qu’elle peut donner. L’agriculteur ne s’attache pas à la terre; lorsqu’il a tari la première fécondité d’un champ, il trouve plus avantageux de passer à un autre. Il en est de même dans toutes les autres professions. L’homme essaie de toutes les carrières et se transporte de l’une à l’autre avec une facilité et une inconstance sans égales. Il est lawyer, journaliste, clergyman, magistrat tour à tour. De même, pour les croyances religieuses,