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certain qu’en séparant la période actuelle de l’avenir qu’elle prépare, ces craintes sont fondées. Le protestantisme en Amérique tend de plus en plus à abattre l’esprit de secte pour arriver à une sorte de catholicisme mal défini que nous appellerons tout simplement du nom de théisme chrétien. La religion du docteur Channing, la philosophie d’Emerson, la théologie de Théodore Parker, ne sont point, comme on pourrait le croire, de purs caprices de rationalistes protestans, de pures inspirations individuelles et des fantaisies de métaphysicien; ce ne sont point des faits isolés, mais la manifestation éclatante des tendances des esprits et des sectes elles-mêmes, qui abdiquent les unes entre les mains des autres, et sont pleines de bonne volonté pour s’absorber mutuellement. Les sectes en Angleterre ont une persistance qu’elles n’ont pas en Amérique; cela tient à une seule cause, au maintien de l’église anglicane comme religion d’état. Chacune des sectes qui se trouve par ce fait même exclue du pouvoir, et à laquelle on ne reconnaît aucune importance officielle, dont l’état fait semblant de ne pas connaître l’existence, veut prouver qu’elle existe bien réellement, et que, si elle n’a pas d’influence officielle, elle en a une plus importante, qu’elle régit les consciences et les cœurs. La rivalité et l’émulation s’en mêlent non moins que le fanatisme, et toutes les sectes entrent en lutte et font la chasse aux consciences humaines avec une ardeur qui serait moindre peut-être s’il n’existait pas de religion d’état. Mais, dans l’Union américaine, l’état n’a point d’église officielle; toutes les sectes sont également en dehors de la protection du gouvernement, et se soutiennent par leurs seules ressources et par les contributions de leurs coreligionnaires. Cette indifférence de l’état entraîne inévitablement une conséquence : c’est que les sectes sont forcées, bon gré mal gré, d’être tolérantes. Si les fidèles les abandonnent, elles ne peuvent s’en prendre à l’état et à la religion officielle; si leurs doctrines sont en baisse, elles ne peuvent s’en prendre au principe de la liberté religieuse, qui est le leur et dont elles jouissent. Alors, chose étrange, on voit des sectes (et qui dit secte dit obstination cependant) reconnaître que peut-être elles se trompent et le publier, avouer que si les fidèles les abandonnent; c’est que sans doute leurs doctrines n’apaisaient point leurs doutes et ne pouvaient les satisfaire. L’université fondée par les baptistes du Rhode-Island est en pleine décadence; « c’est sans doute, écrit un des soutiens de cette université, le docteur Wayland, que nous n’avons pas su donner au public l’éducation qu’il demandait. Nous n’avons pas connu l’article principal, le genre de marchandises intellectuelles que demande le marché moral de ce temps-ci. »

Les opinions religieuses sont donc, on le voit, devenues de simples opinions comme les opinions politiques, comme les opinions sur les tarifs et le libre échange, qu’on peut changer selon le progrès du