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temps, les inspirations de la conscience. Quand un chrétien de n’importe quelle communion avait des doutes autrefois, il s’efforçait de les surmonter, il implorait la grâce et l’appelait par la prière et l’abstinence; les États-Unis ont inventé un nouveau moyen d’apaiser les angoisses intérieures: si vous avez des doutes, changez de culte; si votre nouveau culte ne les apaise pas, passez à un autre, et ainsi de suite, jusqu’à ce que vous ayez trouvé la paix. Il en est résulté tout simplement que les Américains ont épuisé tous les genres de scepticisme religieux sans tomber pourtant dans le scepticisme rationaliste et philosophique, car la préservation du christianisme dans les pays protestans calvinistes a tenu beaucoup à une seule cause : c’est que les écoles philosophiques ont été représentées dans ces pays par des églises et des cultes. Les Américains sont arrivés, de doute en doute et d’église en église, au dernier doute possible, et enfin il a bien fallu s’arrêter sous peine de cesser d’être chrétien. Le Christ est-il Dieu? Si vous admettez sa divinité, quand bien même vous porteriez l’examen sur tous les autres mystères, vous ne cessez pas d’être chrétien; si vous la rejetez, le christianisme lui-même est renversé, car c’est là le point qui ne peut varier, la pierre fondamentale et éternelle. L’esprit de liberté des Américains, uni à leur esprit protestant, a trouvé son idéal religieux dans la secte aujourd’hui prépondérante de l’Union, la secte des unitaires. La divinité du Christ étant exceptée, tous les autres mystères doivent être soumis à l’examen, tous les dogmes peuvent être soumis sans danger aux interprétations individuelles, tous les faits et récits des deux Testamens doivent être regardés comme des mythes et des allégories sacrées, comme les figures des réalités surnaturelles : telle est la doctrine des unitaires, doctrine aussi large que possible, comme on le voit, et qui essaie d’établir un compromis entre l’esprit rationaliste contemporain et l’esprit chrétien de leurs pères, entre la révélation et la raison. Cette doctrine peut se résumer ainsi : le Christ a révélé la vérité aux hommes pour qu’ils l’interprétassent en esprit et en vérité; les hommes n’auraient pu découvrir la vérité, mais ils peuvent la comprendre; que celui qui veut adorer le Christ en esprit s’efforce donc de le comprendre! Cette doctrine est si bien appropriée au caractère américain, qu’elle se répand avec une rapidité singulière; toutes les autres sectes, baptistes, méthodistes, viennent se fondre dans celle-là, abdiquent et abjurent, et, quand elles n’abdiquent pas, s’efforcent d’introduire le plus d’unitarisme qu’elles peuvent dans leurs rites et leurs liturgies particulières.

Voilà donc le commencement d’une révolution religieuse, le commencement d’un catholicisme protestant, dont la fin évidente doit être et sera très probablement l’absorption de toutes les sectes en une seule. Un seul principe indiscutable, toutes les opinions religieuses légitimées.