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commandé par la ville de Marseille, mais d’un travail proposé par l’artiste lui-même. Or le talent de Puget n’a rien à démêler avec le talent de Pradier. Non-seulement le statuaire marseillais a plus souvent cherché l’énergie que la grâce, mais il s’est montré dans toutes ses œuvres indépendant, personnel, et, tout en admirant les monumens de l’art antique, il ne s’est jamais cru obligé de les copier. Entre le sculpteur marseillais et le sculpteur genevois, il n’y a pas même une ombre de parenté. Aussi j’ai peine à comprendre pourquoi Pradier a voulu honorer la mémoire de Puget. Il y avait une manière bien simple de prouver son respect pour ce beau génie, c’était de recommander ses ouvrages à ses élèves. Or tous ceux qui ont connu Pradier savent très bien qu’il s’en est toujours tenu à l’étude de l’antique, et qu’il ne voyait pas de salut hors de cette voie. En rapprochant son enseignement de son projet en l’honneur de Puget, je suis forcé de voir dans cette dernière pensée une inconséquence qui touche ta l’hérésie. Ou son enseignement était souverainement sage et menait droit à la vérité, et dans ce cas un monument élevé par ses mains à la mémoire de Puget compromettait l’autorité de ses leçons; ou Puget mérite d’être étudié, même après les anciens, et dans ce cas il fallait recommander ses œuvres comme une nourriture salutaire. Si j’insiste sur ce point, c’est pour mieux montrer tout ce qu’il y avait de léger, de mobile dans le caractère de Pradier.

Le moment est venu de parler de ses œuvres. Pour donner plus de clarté à mon jugement, je les diviserai en trois séries : figures païennes, figures chrétiennes, sculpture monumentale. En parlant successivement de ces trois séries, il ne me sera pas difficile de prouver que Pradier, très habile à traiter les sujets païens, n’a jamais montré qu’un talent très insignifiant dans les sujets chrétiens, et que la sculpture monumentale ne convenait pas à la nature de son esprit. En appréciant l’ensemble de ses travaux, je ne me dissimule pas que j’aurai à combattre bien des opinions accréditées depuis long-temps. Je ne crois pas qu’il occupe dans l’histoire de l’art français la place considérable qu’on a voulu lui assigner. Si je me trompe, il sera bien aisé de me redresser, car les œuvres de Pradier sont assez nombreuses pour que la discussion puisse s’engager sur un terrain solide. Pour ma part, je ne comprends pas la rigueur appliquée aux hommes morts depuis quinze ou vingt siècles et l’indulgence réservée aux hommes que nous coudoyons ou qui sont morts depuis quelques semaines. A mon avis, la plus sûre manière d’honorer les contemporains, c’est de les traiter comme les anciens, c’est de juger l’œuvre achevée hier près de nous comme l’œuvre achevée du temps de Périclès ou d’Alexandre, de Sylla ou de Jules César.

On a dit que Pradier était le dernier des païens, et cette manière de