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Ce sont les propres paroles de Retz[1], et le galant évêque de Grasse. Godeau, les confirme par les complimens alambiqués en manière de sermon qu’il adresse à ce sujet à Mme de Longueville[2].

Pendant cette indisposition, M. de Longueville n’était pas auprès de sa femme. Le cardinal de Richelieu venait de l’envoyer prendre le commandement de l’armée d’Italie à la place du duc de Bouillon, l’aîné de Turenne, qui, compromis dans l’affaire du grand-écuyer Cinq-Mars, avait été arrêté par ordre du cardinal à la tête de son armée, conduit de Cazal à Lyon au château de Pierre-Encise, et se trouva encore très heureux de racheter sa vie par l’abandon de sa place forte de Sedan.

L’hiver de 1643 s’écoula pour Mme de Longueville dans les agréables occupations qui avaient charmé son adolescence. Elle était sans cesse au Louvre, à l’hôtel de Condé, à la Place-Royale ou à l’hôtel de Rambouillet, dont l’éclat s’accroissait chaque jour. C’était à peu près le temps de la Guirlande de Julie. Tallemant s’était proposé[3] d’ajouter au recueil des poésies de Voiture beaucoup d’autres pièces de l’hôtel de Rambouillet. En vérité, nous pourrions le suppléer à l’aide des manuscrits de Conrart, qui était aussi un des habitués de l’illustre hôtel. Nous puiserions à pleines mains dans ces manuscrits inépuisables, et nous n’aurions que l’embarras du choix; mais si tous ces vers peignent à merveille la société du XVIIe siècle, amoureuse de l’esprit comme de la bravoure, enivrée d’héroïsme et de galanterie, ils charmeraient peut-être médiocrement celle d’aujourd’hui, et la dernière fois nous avons mis les lecteurs de la Revue à une épreuve que nous n’oserions renouveler. Disons seulement que Mme de Longueville fut encore plus entourée que Mlle de Bourbon de cet encens poétique[4] un peu fade, il est vrai, mais qui rarement a déplu aux beautés les plus spirituelles. Nous avons sous les yeux des poésies de toute sorte et de toute main qui la représentent tantôt aux bals du Louvre et du Luxembourg, tantôt au Cours avec ses deux belles amies, Mlles du Vigean, tantôt suivant son mari dans

  1. Mademoiselle a beau dire, t. ler, p. 47, que Mme de Longueville resta marquée de la petite vérole, Retz affirme le contraire. Édit. d’Amsterdam, 1731, t. Ier, p. 185 : « La petite vérole lui avoit ôté la première fleur de la beauté, mais elle lui en avoit laissé tout l’éclat. »
  2. Lettres de Mgr Godeau sur divers sujets, Paris, 1713, lettre 76, p. 243 : « De Grasse, ce 13 décembre 1642.... Pour votre visage, un autre se réjouira avec plus de bienséance de ce qu’il ne sera point gâté. Mlle Paulet me le mande. J’ai si bonne opinion de votre sagesse, que je crois que vous eussiez été aisément consolée si votre mal y eût laissé des marques. Elles sont souvent des cicatrices qu’y grave la divine miséricorde pour faire lire aux personnes qui ont trop aimé leur teint que c’est une fleur sujette à se flétrir devant que d’estre épanouie, etc. »
  3. Tome II, p. 295.
  4. Manuscrits de Conrart, in-4o, t. XXIV, p. 647; t. XVII, p. 721; ibid., p. 823.