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compagnons de son enfance, comme un des camarades de son frère, comme un gentilhomme presque de son rang dont elle n’avait aucune raison de repousser les hommages, et qui lui plaisait par une tendresse persévérante et dévouée. Elle lui permettait de soupirer pour elle et de se déclarer son chevalier à la manière espagnole, selon les principes de Mme de Sablé et des précieuses de l’hôtel de Rambouillet, qui ne défendaient pas aux hommes de les servir et de les adorer, mais de la façon la plus respectueuse. Telles étaient les mœurs de cette époque. Un gentilhomme ne passait pas pour honnête homme, s’il n’avait pas une maîtresse, c’est-à-dire une dame à laquelle il adressait de particuliers hommages et dont il portait les couleurs dans les fêtes de la paix et sur les champs de bataille. Il n’y avait pas une beauté, si vertueuse qu’elle fût, qui n’eût des amans, c’est-à-dire des soupirans en tout bien et en tout honneur. En voulez-vous un exemple? La duchesse d’Aiguillon, présentant son jeune neveu, le duc de Richelieu, à Mme du Vigean l’aînée, la priait d’en faire un honnête homme, et pour cela elle exhortait le plus sérieusement du monde le jeune duc à devenir amoureux de la belle dame. Mme de Longueville souffrait ainsi les empressemens de Coligny. Sa coquetterie en était flattée, sa vertu ni même sa réputation n’en étaient effleurées. Ajoutez qu’elle était entourée des meilleurs exemples. La jeune du Vigean, sa plus chère amie, résistait au vainqueur de Rocroy; Mlle de Brienne était tout entière à son mari, M. de Gamache; Julie de Rambouillet ne se pressait pas de se rendre à la longue passion de Montausier, et Isabelle de Montmorency elle-même ne faisait encore que prêter l’oreille aux doux propos de Dandelot. Retz affirme seul que Coligny était aimé, il dit le tenir de Condé lui-même; mais qui ne connaît la légèreté de Retz? qui voudrait s’en rapporter à son témoignage quand il est seul, et sur des choses où il n’a pas été personnellement mêlé? En 1643, Retz n’avait guère que le secret de ses propres intrigues. Mme de Motteville si bien informée, qui plus tard ne dissimulera pas la chute de Mme de Longueville, peut être crue lorsqu’elle affirme qu’en 1643[1] « elle étoit encore dans une grande réputation de vertu et de sagesse, » et que tout son tort étoit « de ne pas haïr l’adoration et la louange. » Enfin nous avons un témoignage décisif, celui de La Rochefoucauld. Il était à la fois l’ami de Maulevrier et celui de Coligny; il savait donc le fin de toute cette affaire. Or, lui qui un jour se tournera contre Mme de Longueville, révélera ses faiblesses, grossira ses fautes, s’efforcera de ternir son caractère, déclare que, jusqu’à une certaine époque à laquelle nous ne sommes pas encore parvenus, tous ceux qui essayèrent de plaire à la sœur de Condé tentèrent inutilement cette

  1. Mémoires, t. Ier, p. 174-177.