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l’escadre, le mérite n’en appartenait guère à l’amiral, trop peu soucieux de cette importante partie du service. Heureusement les capitaines trouvaient en eux-mêmes la force de maintenir à leur bord l’ordre et l’obéissance, et l’autorité du chef n’avait jamais besoin d’être invoquée. Quelles que soient les circonstances de la navigation, à bord d’une escadre comme d’un bâtiment isolé, partout et toujours la discipline est la même. D’après nos lois, le capitaine a, sur tous ceux qui sont embarqués sur son navire, une autorité absolue et illimitée. Cette autorité va jusqu’au droit de vie et de mort, et il n’en peut être autrement. Qu’on se figure, en effet, la situation d’un homme qui doit se faire obéir de plusieurs centaines d’autres, seul et sans assistance extérieure, par l’unique ascendant de la force morale ; qu’on se figure à quel point il importe que cette force qui réside en lui tout entière ne vienne jamais à lui manquer, soit pour le salut de ceux dont la vie lui est confiée, soit pour l’honneur du pavillon qu’il a juré de défendre, et l’on comprendra que la loi ait armé cet homme de la plus haute et de la plus terrible de toutes les prérogatives.

Un peuple qui se passe des fantaisies d’insurrection en est quelquefois quitte à bon marché, et l’on en a vu oublier bien vite les dangers que ce jeu leur avait fait courir ; mais, dans ce petit monde qu’on appelle un vaisseau, si l’équipage vient à se mettre en révolte, c’est la vie de tous qui est compromise. En mer, il y a des naufrages dont on ne revient pas. Que si le navire, théâtre d’une émeute victorieuse, ne périt point, il est tout au moins désorganisé ; à la guerre, il ne vaut plus rien contre l’ennemi, et ne peut que déshonorer le pavillon ; en temps ordinaire, il est un mauvais exemple et un scandale. Or c’est là ce qu’il faut prévenir à tout prix, et de là, encore une fois, le droit exorbitant dont est investi le capitaine.

Mais ai-je besoin d’ajouter qu’à ce droit est attachée une redoutable responsabilité qui le tempère et n’en a jamais permis l’abus ? Indépendamment du frein que l’opinion universelle du pays met de nos jours à l’exercice de toute autorité, il y a à bord une opinion locale devant laquelle les violences d’un commandement tyrannique sont forcées de s’arrêter. Le concours ou le non-concours des officiers est, en un autre sens, une sorte de droit de vie et de mort qu’ils exercent à leur tour sur celui qui les commande. Ont-ils à se louer de lui, tout ce qu’ils ont d’énergie et d’intelligence est au service de son autorité, et c’est par eux qu’elle descend jusque dans les derniers rangs de l’équipage pour y être sentie et respectée. Sont-ils mécontens, et l’équipage l’est-il avec eux, le navire devient alors comme une machine dont les rouages s’arrêtent. Le mauvais vouloir a des ressources infinies pour conspirer sans se révolter et pour rendre l’exercice de l’autorité si laborieux y qu’il en devient presque impossible. Qui n’a le souvenir, dans notre