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route sur un sable mou et brûlant, au bord d’un marécage infect, n’offrait d’attrait à personne après qu’on l’avait vue une fois. On restait donc à bord, maudissant les nécessités de la politique par lesquelles on était cloué sur ces affreux rivages. Si le métier de la mer a ses charmes, s’il a ses grandes émotions, il faut bien qu’il ait aussi ses dégoûts et ses tristesses, et nulle part il n’y en a plus que dans ces longues stations où l’on n’a rien à faire que d’observer et d’attendre ce qui, la plupart du temps, n’arrive pas. Lorsqu’à l’ennui viennent se joindre, comme cela n’est que trop fréquent, les funestes influences d’un climat malfaisant, lorsqu’on voit la maladie commencer à faire des victimes, il faut alors avoir une rare force de caractère pour ne ressentir jamais les atteintes du découragement Il n’y a que la religion du devoir, que les saintes traditions de l’honneur, qui empêchent l’ame de défaillir, et quelquefois aussi à ces graves pensées l’imagination vient joindre, comme dans un riant mirage, le souvenir de la patrie, doux au cœur du marin ainsi qu’à celui de l’exilé.

Cependant, à la longue, ce retour annuel de l’escadre devant Tunis eût manqué de dignité. Il suffisait à la porte d’envoyer quelques bâtimens hors des Dardanelles pour nous faire tout quitter et arriver là comme hors d’haleine. C’était donner à trop bon marché la facilité de tenir en échec les forces navales de la France ; c’était en outre avoir trop l’air de douter de l’autorité que devait avoir la parole de nos ambassadeurs. Il fallait donc chercher une occasion de renvoyer à nos adversaires les alarmes qu’ils croyaient nous inspirer. Cette occasion se présenta en 1846.

Tripoli est la dernière des régences barbaresques qui soit restée aux mains de la porte ; c’est un véritable pachalick, dont le titulaire est changé aussi souvent que le veulent les intrigues du serai. Quelques villes du littoral ont des garnisons turques, mais l’intérieur de la province est administré suivant le système employé par les anciens deys. Cette régence, contiguë à celle de Tunis, était devenue le centre de toutes les intrigues qui avaient pour but le renversement du bey Ahmed. Le gouvernement turc, déconcerté dans ses projets d’agression maritime contre son vassal affranchi, avait, dit-on, la pensée de le combattre par terre, et de nombreuses troupes avaient été débarquées à Tripoli et dirigées sur la frontière tunisienne. L’intérêt de la France était de décourager cette tentative comme celle d’une attaque par mer : l’escadre fut donc envoyée à Tripoli.

C’était au mois de juillet 1846. L’escadre était forte de sept vaisseaux et de trois bateaux à vapeur. Au moment où elle approchait des côtes, bien avant que l’on eût reconnu la terre, un phénomène étrange frappa tous les regards. Quoiqu’on fût en plein midi, les nuages étaient colorés à leur partie inférieure par un filet rouge semblable à ces belles