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teintes dont le soleil les dore à son coucher. Ces reflets, dont l’aspect était si nouveau pour nous, venaient de la réverbération du soleil sur les sables du désert, car ici le désert, dans toute son aridité et dans toute son horreur, s’étend jusqu’à la mer. Il n’y a plus de région montagneuse, plus de sahel, comme sur les côtes du Maroc et de l’Algérie. La Côte de Fer, qui court de Gibraltar vers l’est jusqu’au cap Bon, s’arrête là pour faire place à des rivages aussi inhospitaliers, aussi dépourvus de ports, mais bien plus dangereux, puisqu’il est impossible de les apercevoir de loin, et que souvent la sonde même n’en indique pas le voisinage. C’est ainsi qu’à l’instant où l’escadre approchait de Tripoli, le premier indice de la terre nous fut donné par le changement dans la couleur des nuages. Bientôt après on distingua à l’horizon une longue bande de poussière, causée par les sables que le vent soulevait, puis les cimes d’un bois de dattiers, et, au milieu de ce bois, les sommets des bizarres fortifications qui défendent Tripoli, quelques pavillons élevés pour le pacha et les consuls, le tout dominé par l’étendard rouge du sultan. Autour de l’oasis de dattiers qui entoure la ville, on n’aperçoit qu’une mer de sable rouge, qui s’étend à perte de vue, et sur laquelle de longues caravanes de chameaux cheminent péniblement. Tripoli, en effet, est le centre d’un commerce important, et malgré la misère dont elle présente l’aspect, malgré l’épouvantable oppression sous laquelle gémissent ses habitans, obligés de faire en peu de temps la fortune de chacun des pachas qui s’y succèdent, cette ville n’est pas aussi morte qu’elle a l’air de l’être. C’est presque exclusivement de Tripoli que les peuplades du Fezzan et de l’Afrique centrale tirent les produits des manufactures d’Europe. Un petit port, formé comme celui d’Alexandrie par une chaîne de rochers, au milieu desquels s’ouvrent plusieurs passes, est la cause du peu de mouvement et de vie que le commerce donne à cette triste plage. Ce port est inaccessible aux grands navires de guerre, mais des bâtimens de 500 à 800 tonneaux y trouvent un refuge assuré, le seul entre Tunis et Alexandrie. Aussi n’a-t-il pas cessé d’être fréquenté, en dépit de toutes les entraves apportées aux relations commerciales par la rapacité et la violence du gouvernement turc.

L’escadre jeta l’ancre devant la ville, où son arrivée inattendue répandit une très vive agitation, malgré la flegmatique indifférence ordinaire aux musulmans. Le drogman du pacha vint aussitôt offrir à l’amiral les présens d’usage en bestiaux et rafraîchissemens ; il était fort pressé de savoir s’ils seraient acceptés, et de s’assurer si nous venions en amis ou en ennemis, nous laissant voir par là que la conscience de son maître n’était pas parfaitement nette. Notre attitude ne tarda pas à le tranquilliser. Il voulut alors en apprendre davantage et s’efforça de pénétrer le motif de notre visite ; mais les explications