Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/483

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

firent nos états-majors et nos équipages sur ceux qui les visitèrent en sérieux observateurs. On s’étonna de voir des hommes dominant de si haut l’atmosphère où se meuvent les passions humaines, et si étrangers aux affections et aux haines de parti qui divisent la France. On s’étonna d’entendre leurs opinions sur les hommes et sur les choses, qu’ils avaient appris à juger à la lumière du patriotisme et du bon sens, et dans ce lointain qui rend aux objets leur véritable couleur. On s’étonna du simple et ferme langage avec lequel tous déclaraient qu’instruits par les funestes exemples de 1793, ils ne laisseraient à aucun prix la politique envahir leurs vaisseaux, et ne mettraient jamais leur cœur à un autre service que celui de la patrie. Il y eut alors une manifestation de cet esprit qui n’échappa à personne. Au milieu du désordre des acclamations populaires dont retentissaient les abords de Cherbourg, la flotte n’exprima ses sentimens qu’avec l’ordre et la régularité commandés par la discipline. Le pouvoir fut salué dans la personne du chef de l’état, comme il l’est partout et toujours, moins sous la forme d’un tribut payé à l’homme que sous celle d’un hommage symbolique rendu au principe de l’autorité. Lorsque par un gros temps l’un de nos matelots était tombé à la mer, et que par des prodiges de dévouement et d’audace on était parvenu à le sauver, le commandant du navire, sa casquette à la main, se faisait l’organe du sentiment de tous en criant : « Enfans, l’homme est sauvé ! vive le roi ! » et ce cri était répété par cinq cents bouches. Qui saluait-on ainsi ? La personne assise sur le trône ? Non ; on avait crié en d’autres temps : Vive la république ! et vive l’empereur ! On saluait le nom sous lequel on s’était engagé à servir la France, et à vaincre ou à mourir pour elle.

C’est ainsi que, pour ceux qui étaient allés chercher autre chose que le plaisir des yeux, il y avait dans ce qu’ils virent à Cherbourg plus qu’un beau spectacle : il y avait de bons exemples à suivre et d’utiles enseignemens à recueillir. On voyait là les incomparables résultats que l’on peut obtenir de la nature française lorsqu’elle est bien dirigée, et lorsqu’on fait appel à ce qu’elle a de plus élevé. Aussi l’impression que chacun emporta des fêtes de Cherbourg ne fut-elle ni aussi légère ni aussi superficielle qu’on aurait pu l’attendre.

Après ces fêtes, l’escadre alla passer l’hiver à Brest. Lors du soulèvement du maréchal Saldanha en Portugal, elle fut envoyée à Cadix, et de là elle rentra dans la Méditerranée, qu’elle sillonne en ce moment sous les ordres de l’amiral La Susse, le lieutenant de l’amiral Lalande à Besica ; c’est assez dire que ses bonnes traditions ne sont point en péril.

Si, grâce à Dieu, le personnel de l’escadre reste ainsi le même, si rien n’est changé à son esprit, le matériel est en ce moment même près de subir une transformation d’une immense importance. Le jour