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valeur. Dans une escadre, en effet, quelque nombreux que soient les États-majors, tout le monde se connaît ; la carrière de chacun est un livre ouvert que tous ses camarades peuvent feuilleter. Il s’ensuit que l’estime ne se mesure qu’au nombre et à l’importance des services rendus. À ce sentiment de leur valeur qu’ont nos officiers se joint la connaissance parfaitement définie de leurs devoirs. La route à suivre est toute tracée ; il n’y a pas à choisir, comme ailleurs, entre l’honneur et l’intérêt : l’un ne se sépare pas de l’autre, et de là un sentiment de supériorité morale qui rend peut-être un peu fier, mais qui crée de grandes obligations. Cette fierté d’ailleurs est accompagnée d’autres dispositions qui la tempèrent. L’isolement dans lequel on vit, les longs voyages, les longues veilles de nuit, disposent l’ame à la mélancolie et l’ouvrent aux affections vives et profondes. Aussi, malgré la froideur apparente dont j’indique les causes, malgré la raideur produite par l’habitude d’exercer dès le jeune âge un commandement absolu, jamais on ne rencontre de cœurs plus chauds que ceux de nos marins.

Cette remarque s’applique à nos matelots aussi bien qu’aux officiers. Le matelot arrive à bord, sortant à peine du cercle étroit de la famille. Fils de pêcheur, il est rare que son enfance n’ait pas été nourrie dans les pratiques religieuses. La marine le reçoit donc d’ordinaire avant qu’il ait été gâté par les funestes enseignemens de la corruption. La discipline s’en empare et lui démontre en quelques jours qu’aucun de ses mauvais penchans, s’il en a, ne restera impuni. L’état pourvoit à tous ses besoins, comme à ceux du soldat ; mais il ne l’abandonne jamais, comme le soldat, à l’inévitable oisiveté des garnisons. Toujours occupé à bord, le matelot est à chaque instant en présence du péril. Grimper, par une nuit sombre, sur une vergue qui s’agite avec violence, serrer une voile que le givre a durcie comme une planche, et dans laquelle on a le corps entortillé par le vent, c’est là une opération tout aussi périlleuse et qui demande tout autant de sang-froid et de courage que de monter à l’assaut d’une crête couronnée par les Kabyles. Cet acte d’audace, le matelot l’accomplit tous les jours, et sans être soutenu par l’espérance de la gloire. Si une corde casse, si son pied glisse, il périra d’une mort obscure. Des troupes qui sont allées au feu doublent de valeur. Le matelot, qui chaque jour risque sa vie dans le combat contre les élémens, puise dans l’habitude de mépriser le danger le germe de tous les nobles sentimens. Sans soucis pour ses besoins présens non plus que pour son avenir, soumis à un gouvernement paternel et toujours juste dans sa sévérité, s’abandonnant à ses chefs avec une entière confiance, son contentement, son bien-être ; se manifestent à tous les yeux.

Je dois signaler encore une autre impression fort saisissante que