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le sombre jour d’un déclin ce qui parut un moment briller de la lumière d’une belle aurore : elle aurait eu cent fois moins d’esprit qu’elle se fût toujours fait lire avec avidité de la société incrédule et repentante qui fleurissait il y a quarante ans.

Mais un intérêt d’un genre tout particulier s’attachait à ce remarquable livre. Cette femme blasée, ennuyée, caustique, qui ne croit à aucune affection, qui ne voit partout qu’égoïsme et sécheresse, avait sauvé son cœur sans s’en douter, et elle aimait en niant qu’on pût aimer. Ce cœur aride était sensible, et un attachement profond et pur le dominait tout entier. Vieille, débile, aveugle, elle s’était laissé aller à un sentiment incomparable, vif comme la passion, mais digne et contenu ainsi que le voulaient son âge et sa raison, et dont il est impossible de suivre les progrès, les épanchemens et les souffrances sans compassion et sans respect. Le contraste de sa décrépitude et de ses émotions n’est pas un seul instant ridicule. L’étrange spectacle d’un esprit dépouillé de toute illusion et qui retrouve à son insu la première de toutes, ce je ne sais quoi de romanesque qui persiste dans une ame refroidie, cette affection dévouée qui s’y élève au-dessus des croyances perdues, des amitiés évanouies, comme un parfum dans un désert, voilà ce qui donna surtout un attrait singulier à ces confessions d’un nouveau genre. On aimait encore à disserter sur l’amour dans ce temps-là, et le cœur de la pauvre vieille aveugle devint l’objet de cette autopsie curieuse à laquelle s’attachait volontiers la science frivole et subtile de la pathologie sentimentale.

En fait de roman, la question ordinairement posée est celle-ci : A-t-on eu raison d’en aimer le héros ? L’objet de l’attachement de Mme Du Deffand n’échappa point à cet examen et se tira fort mal d’une redoutable épreuve. C’était un Anglais, spirituel apparemment, comme elle le dit sans cesse, homme du monde et de conversation, car il faut bien l’en croire, mais ombrageux, froid, même égoïste et dur, on se hâta du moins de le proclamer ; un homme insensible à tout, hors aux bienséances, craignant plus d’être ridicule que de se montrer cruel et cherchant dans le jugement d’autrui la règle de ses sentimens ; enfin une sorte d’Oswald de cette singulière Corinne. Nous ne prétendons point que ce jugement fût tout-à-fait juste ni complet ; nous disons qu’il fut rendu, et que c’est à peu près en ces termes que les lecteurs français ont alors caractérisé Horace Walpole.

Le connaît-on beaucoup mieux aujourd’hui ? Sait-on avec un peu de détail ce que fut cet homme célèbre, qui n’a pas été sans influence sur les opinions et les goûts de la société anglaise, qui enrichit la littérature de son pays, et peut-être lui ouvrit une voie nouvelle par ses ouvrages de critique et d’imagination, qui certainement s’éleva par ses mémoires, et encore plus par ses lettres, à un rang très distingué dans