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contradiction, lorsqu’elle écrivait au conseil des prud’hommes, saisi d’une question relative au tarif, que cet acte devait être considéré comme une simple base d’appréciation. C’était bien sans doute de s’arrêter devant une impossibilité; mais rien de plus périlleux que de reculer si tard. L’exaspération des masses s’en accrut. On sait le reste; on sait qu’au milieu de la fermentation excitée par ces débats, une rencontre sur la pente rapide de la Grand’-Côte entre la garde nationale de Lyon. qui représentait l’intérêt des fabricans, et les ouvriers de la Croix-Rousse, fut le signal du combat.

L’erreur des ouvriers lyonnais avait été de croire qu’ils pourraient obtenir le redressement de ce qu’ils appelaient leurs griefs par l’agitation, par une pression violente, et qu’ils resteraient cependant toujours les maîtres de s’arrêter dans la carrière du désordre. C’était vouloir mettre la main dans le feu sans se brûler. « À ce moment-là, ont dit les chefs d’atelier, nous ne songions pas à en venir aux mains, et nous avions fermé nos rangs à la politique. » C’est possible; mais on avait échauffé les esprits, irrité les cœurs; on avait mis en présence des élémens déclarés hostiles, et puis on s’étonnait de n’avoir pu contenir le torrent déchaîné! L’homme même, agissant individuellement, une fois qu’il cède à ses passions, ignore jusqu’où l’emporteront les orages de son cœur. Combien est-il plus difficile de modérer une foule incapable de recueillement et livrée à tous les hasards de l’imprévu! Les ouvriers avaient d’ailleurs gravement troublé la paix publique et jeté l’alarme dans la ville; ils étaient entrés en lutte avec la force armée, qui faisait alors le douloureux apprentissage de la guerre des rues, et ils s’imaginaient encore ne débattre qu’une question économique!

Si on n’avait pas su à l’avance que cette question-là ne pouvait pas être résolue par la force, on n’en aurait plus douté après avoir vu la ville momentanément abandonnée aux insurgés. La combinaison qui concentra les troupes au dehors, sur les hauteurs de Montessuy, a été diversement appréciée; mais il est impossible de nier qu’en laissant les ouvriers à eux-mêmes, le général en chef ne les mît dans le plus inextricable embarras. Le sentiment de l’impuissance la plus absolue éclate alors dans tous leurs actes. Si pour le moment la difficulté industrielle paraissait simplifiée, puisque l’émeute avait entièrement paralysé le travail, l’avenir n’en était que plus sombre. Les ouvriers ne semblaient plus savoir pour quelle cause, ils s’étaient battus. Harcelés par des divisions intestines, n’apercevant autour d’eux que ténèbres, ils en arrivèrent promptement à souhaiter la fin de cette déplorable échauffourée. Ils rétablirent d’eux-mêmes les autorités civiles dans leurs fonctions. Quant à l’armée, dont l’éloignement leur imposait l’assujettissant service des postes intérieurs, ils étaient loin de songer à mettre obstacle à son retour. Un chef d’atelier qui eut un rôle actif à cette époque nous disait naguère : « Si le maréchal Soult avait attendu