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quelques jours de plus pour ramener les troupes dans la ville, nous aurions été capables d’aller les chercher. »

Un fait dont les détails sont à peine connus et qui appartient à l’histoire du temps peut servir à montrer combien des hommes si prompts à éclater en plaintes avaient peu réfléchi sur les conditions de la fabrique lyonnaise. Quelques délégués étaient venus à Paris avec mission de présenter au gouvernement les vœux des ouvriers. Les délégués, choisis parmi les chefs d’atelier les plus capables, furent reçus au ministère de l’intérieur par M. Casimir Périer. Le ministre, comprenant bien qu’ils étaient un peu dépaysés dans son cabinet, essaya de les mettre à l’aise et porta tout de suite la conversation sur leur propre terrain, sur la situation même dont ils se plaignaient. Ses questions nettes ne laissaient point de place à la déclamation; il aurait fallu des faits précis, des indications catégoriques. La députation, qui reflétait très fidèlement l’état d’esprit des ouvriers lyonnais, apportait au contraire l’expression d’un mécontentement vague, mais elle ne s’était point occupée des moyens de remédier aux inconvéniens signalés, de concilier les exigences des tisseurs de soie avec les nécessités du commerce intérieur et extérieur. Le tarif qu’avaient proposé les délégués lyonnais n’était point à l’épreuve d’une discussion calme et un peu approfondie. Aussi les députés se retirèrent-ils sans avoir articulé une seule demande jugée acceptable par eux-mêmes. A peine sortis, ils se recueillirent, ils se demandèrent s’ils n’avaient rien oublié, et eux, qui arrivaient la veille l’ame remplie de leur mission, s’imaginant porter dans leur cerveau un monde de griefs, mis en contact soudain avec la réalité, furent contraints de s’avouer qu’ils n’avaient pas une proposition sérieuse à soumettre au gouvernement. Malheureusement cette conviction ne pouvait pas pénétrer parmi la masse des habitans de la Croix-Rousse.

Radicalement stérile dans le présent, l’insurrection de novembre 1831, qui abattit le tarif sur lequel avaient reposé tant de folles espérances, léguait à l’avenir des germes dangereux, que n’étouffèrent pas diverses mesures de conciliation adoptées par le gouvernement. Les intelligences populaires avaient reçu de l’émeute un principe vicié que le temps allait rapidement développer. Les mêmes intérêts demeuraient d’ailleurs en présence, aigris encore par le choc de la veille : chez les ouvriers, un orgueil immense d’avoir été les maîtres, même stérilement et quoique pendant un seul jour; chez les fabricans ou du moins chez une partie d’entre eux, un souvenir amer des derniers événemens. En prenant le cœur humain tel qu’il est, on n’aura pas de peine à comprendre que, sous l’empire des idées traditionnelles de la fabrique, on devait souffrir même de la protection qu’on avait reçue de ces canuts veillant aux portes des magasins pour faire respecter les propriétés particulières. La politique d’ailleurs allait