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entrer en scène. Dès que les ouvriers se furent lancés dans la carrière du désordre, ils cessèrent de s’appartenir à eux-mêmes. En vain ils tâchent encore de s’arrêter sur une pente glissante, ils tombent bientôt en des mains qui se font un instrument de leurs rancunes et de leurs forces. — Industrielle en 1831, l’insurrection doit devenir républicaine en 1834 et socialiste en 1849.

A la première de ces époques, les ouvriers avaient du moins une idée qui sortait de leurs rangs, l’idée du tarif. En 1834, au contraire, c’est un drapeau politique, c’est le drapeau rouge qui va se dresser sur les barricades. Durant l’intervalle qui sépare ces deux insurrections, la question économique disparaît chaque jour davantage. Les cœurs s’ouvrent peu à peu à cette espérance, que l’émeute politique donnera ce que l’émeute industrielle avait refusé. Il faut savoir si les travailleurs en ont effectivement retiré plus de profit.

Dans cette armée de mécontens campée sur les gradins de la Grand’-Côte et sur le plateau de la Croix-Rousse, les ennemis du gouvernement d’alors virent une force active dont il fallait à tout prix obtenir le concours. Divers moyens furent activement mis en œuvre pour attirer les ouvriers sur le brûlant terrain de la politique, où ils répugnaient d’abord à s’engager. Des démonstrations publiques de toute nature, des banquets patriotiques, des ovations décernées soit à des visiteurs parisiens, soit à des accusés politiques acquittés par les tribunaux, cherchèrent à entretenir une continuelle agitation dans les esprits. A tout moment les masses étaient appelées dans la rue par quelque nouveau sujet d’émotion; la presse et les sociétés secrètes furent les deux ressorts principaux à l’aide desquels on réussit surtout à les remuer. Un journal, la Glaneuse, organe d’opinions effrénées, qui s’adressait particulièrement aux travailleurs, prêchait la révolte au grand jour. Le Précurseur servait la même cause, quoiqu’en termes moins passionnés. Les brochures les plus irritantes inondaient les ateliers. Pour donner une idée du ton de ces pamphlets, il ne faut que citer une phrase d’un petit écrit sur la coalition des chefs d’atelier, publié par l’un des rédacteurs du journal le Précurseur, M. Jules Favre, qui débutait alors dans la carrière politique : « Vous êtes les plus forts; juillet et novembre vous ont appris comment se pulvérisent les garnisons. Ce que vous avez fait, vous le pouvez encore... » pour prix de leur concours, on étalait aux yeux des masses la promesse d’une participation plus grande aux jouissances sociales. Le mutuellisme, dont l’organisation devenait de plus en plus étroite et l’action de plus en plus vive, avait son propre journal, l’Écho de la Fabrique[1], qu’il soutenait au moyen des fonds de la caisse de secours. Cette feuille s’inspira

  1. Une division survenue dans le sein de la société donna naissance à un second journal, l’Echo des Travailleurs, qui vécut fort peu de temps.