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ordinaires; mais enfin il faut vivre, et, si le désordre étourdit sur le côté réel des choses, il n’apporte pas le bien-être sous le toit domestique : chaque jour en s’écoulant amène au contraire des nécessités nouvelles et multiplie les souffrances. On revint à l’atelier; on y revint un peu las des dernières agitations. Aussi, à l’époque où les sinistres journées de juin 1848 répandaient la consternation dans Paris, le contre-coup de cette longue lutte n’amena point de bataille à Lyon. Néanmoins un mouvement très actif se dessinait chaque jour avec plus, d’audace : le mouvement socialiste. Les exagérations du socialisme passionnaient d’autant plus les esprits dont nous avons vu les tendances naturelles, que la doctrine était plus nuageuse et plus vague. Le croirait-on? les commandes du commerce français et étranger étaient revenues avant même que l’année 1848 fût écoulée; une activité remarquable régnait déjà dans la fabrique; l’année 1849 s’annonçait comme devant être ce qu’elle fut en effet, une des plus productives que la ville des soieries eût traversées depuis bien long-temps, et, au milieu de cette prospérité inespérée, le terrain se minait chaque jour davantage. Comme si, dans la voie désastreuse des insurrections, la population lyonnaise eût été condamnée à descendre jusqu’au fond de l’abîme, il s’en préparait une troisième, plus absurde encore que les deux autres, et qui allait s’ériger contre le principe même du gouvernement nouveau, contre le suffrage universel. Pendant que l’opinion exaltée commettait à Paris, à propos de l’expédition de Rome, une de ces fautes qui décident de l’avenir d’un parti politique, on essayait à Lyon une démonstration pareille, qu’on qualifiait aussi de pacifique, mais qui conduisit à une lutte ouverte. L’émeute resta concentrée à la Croix-Rousse; on y éleva sept ou huit barricades, qui furent rompues à coups de canon. Si on considère la bataille en elle-même, l’insurrection était sans importance, les barricades furent à peine défendues; mais le socialisme était derrière ou rôdait alentour : la gravité de l’émeute venait de son origine, et surtout de ce qu’elle avait pour elle les vœux de la masse ouvrière attendant les événemens.

On devine sans peine que l’insurrection socialiste n’a légué, comme les luttes précédentes, que des malheurs à la classe laborieuse. On peut donc le proclamer hautement : dans la carrière brûlante des agitations, aucun élément utile n’a pu se produire. Victorieuse ou vaincue, l’insurrection a été également impuissante. Les difficultés économiques dont les ouvriers lyonnais avaient cherché la solution dans une arène sinistre n’auraient pu être amoindries que par l’union de tous les intérêts et le concours de toutes les volontés : la tempête emporte les bons germes, et l’épouvante refoule les sympathies au fond des âmes. L’épreuve a été assez longue et assez variée pour qu’il ne reste plus à ce sujet aucun doute dans les esprits. Si les ouvriers de Lyon voulaient