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se recueillir un instant et se demander quelles propositions un peu sérieuses leur ont été faites depuis 1831, au milieu d’un flux abondant de prédications passionnées, ils ne trouveraient, en dehors de la pensée d’un tarif sur laquelle en général on est revenu, rien qui pût mériter leur attention. Ils reconnaîtraient aisément que l’échec essuyé par eux a tenu à la stérilité même des idées. Il est facile de s’assurer, d’un autre côté, que les émeutes ont eu pour le travail et pour la condition des travailleurs les plus funestes conséquences.

Quand même on pourrait réussir à compter exactement les journées ile travail que les discordes civiles ont fait perdre aux tisseurs lyonnais, on ne saurait pas encore tout ce que l’agitation leur a coûté. Dans la crainte des incertitudes et des retards résultant de l’émeute, l’ouvrage émigrait de la ville par toutes les portes, ou il évitait d’y venir. On ne connaîtra jamais, par exemple, combien de commandes qui auraient été adressées à Lyon se sont dirigées vers des fabriques étrangères. Le désordre chez nous est pour les concurrens du dehors une bonne fortune qui enlève à la fois le gain de nos ouvriers et les profits de nos fabricans; mais, si tous les éléments de la fabrique se sont ressentis du tort matériel causé par les troubles, les ouvriers en ont le plus cruellement souffert.

Dans un autre ordre d’intérêts, quels fruits amers ils en ont encore retirés! Les agitations incessantes de la classe laborieuse rendaient ses mouvemens suspects au pouvoir social. La politique se mêlant à toutes les réunions, même à celles dont l’objet semblait l’exclure, l’autorité était contrainte d’exercer sa surveillance sur des points que dans des temps ordinaires elle laisse en dehors de son action. Lorsque les travailleurs de la Croix-Rousse se plaignent aujourd’hui que les agens du pouvoir aient mis obstacle à des institutions essentiellement privées, ils oublient quel alliage ils y avaient uni. On avait par exemple des réunions chantantes qui charmaient les goûts populaires : ces réunions ont été envahies par la politique, et par cette politique irritante qui n’a d’autre but que de glisser la haine dans les cœurs. Si quelques-unes étaient peut-être restées inoffensives, à qui faut-il s’en prendre qu’elles aient été dissoutes comme les autres? Au milieu d’une excitation universelle, il était impossible de discerner le juste point où les mesures préventives pouvaient s’arrêter sans péril. Une même interdiction a dû frapper certaines institutions plus sérieuses et qui remplissaient un rôle économique, notamment ces sociétés de consommation appelées sociétés d’achats collectifs, et créées en vue de procurer à meilleur compte aux classes laborieuses divers articles d’un usage journalier. La pensée qui s’ingéniait à trouver des moyens de soulagement dans la réunion des ressources individuelles était à coup sûr digne d’encouragement; quelques résultats favorables, généralement appréciés par les familles