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événemens et des institutions ; mais il nous arrive souvent aussi de prêter aux masses populaires plus de préoccupations politiques qu’elles n’en ont réellement. Nous ne sommes portés à nous étonner de leurs brusques évolutions que parce que nous les jugeons autrement qu’elles ne sont. Le trouble et les égaremens où elles tombent tiennent bien moins, en vérité, à d’intraitables instincts d’anarchie qu’à l’incertitude où les laisse l’absence de toute direction précise dans les interrègnes révolutionnaires. Elles ne demandent pas mieux au fond que de voir s’évanouir ces flammes et ces agitations, et elles sont les premières à savoir gré à ceux qui les préservent d’elles-mêmes, en les ramenant à la préoccupation unique des grandes et permanentes choses, de la vie positive. Voici des provinces qui étaient, il y a peu de temps encore, infestées d’influences occultes; rien n’était trop exagéré pour elles en fait d’hommes et de merveilles démagogiques; elles accueillaient tout. Six mois passent à peine, ces mêmes provinces entourent celui qui a dispersé leurs hommes et leurs merveilles. Elles trouvent tout simplement qu’une révolution de moins et une ligne de fer de plus qui s’ouvre pour elles, c’est double gain; elles n’ont point eu pour cela à changer autant qu’on le pense, elles sont redevenues un peu plus elles-mêmes, voilà tout.

L’inauguration du chemin de fer de Strasbourg, puisque c’est d’elle qu’il s’agit, est venue rompre quelque peu, dès les premiers jour de cette quinzaine, avec la monotonie universelle que nous avions récemment à remarquer. C’était une fête à la fois politique et industrielle : sous ce double rapport, elle a son sens et sa signification au milieu des symptômes contemporains. Quant à la signification politique, elle est tout entière dans le voyage du président de la république à Strasbourg, dans l’accueil qu’il a reçu, dans les quelques incidens qui se sont produits, et plus encore dans l’esprit général qui préside à l’ensemble de cette excursion. D’abord c’était la première fois que le prince Louis-Napoléon visitait une portion de la France depuis le 2 décembre, et il est évident qu’il a trouvé les populations accourues sur son passage sous de tout autres influences que par le passé. Nous ne nous amuserons point à rechercher s’il y a eu encore des acclamations républicaines, qui seraient bien probablement réputées aujourd’hui quelque peu factieuses, comme elles l’ont toujours été au fond, par une singularité bizarre, même quand la république de février existait. A défaut de celles-ci, il y a eu des acclamations toutes simples et d’autres qui visaient à quelque chose de plus que la constitution actuelle. En réalité, M. le président de la république ne s’est point trouvé mal sans doute en Alsace, puisqu’il y a passé près d’une semaine au milieu des fêtes, des illuminations, des manœuvres militaires. Il en a pris même occasion pour faire à Bade une excursion sur laquelle, comme on pense, ont couru bien des commentaires dont nous ne nous chargeons pas plus de garantir que de contester l’exactitude, en raison de leur caractère intime. Le prince-président n’a point d’ailleurs prononcé de discours cette fois dans son séjour en Alsace; il a écouté les harangues, officielles sans y répondre, et ce n’est pas le seul point par où le voyage actuel diffère de ceux qui ont précédé le 2 décembre. Les voyages, les inaugurations de chemins de fer, on peut s’en souvenir, étaient, il y a quelques années, pour le prince Louis-Napoléon, autant d’occasions de se montrer au