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Nous n’avons pas ici à raconter la Fronde, à faire connaître ses péripéties, ses principaux personnages, les vrais ressorts de leur conduite, leur apparent patriotisme, leur réelle ambition, leurs mobiles espérances, leurs perpétuels changemens. Nous ne voulons peindre que Mme de Longueville ; c’est à elle, sans la séparer de son frère Condé, que nous nous attacherons dans ce dédale d’intrigues ; cette fois même nous la montrerons seulement dans les débuts et les premières scènes de la Fronde.

Dès que La Rochefoucauld fut entré dans le cœur de Mme de Longueville, il l’occupa tout entier. Elle mit à son service tout ce qu’elle avait de séductions dans sa personne, de ressources dans l’esprit, de hardiesse dans le cœur. Insouciante de ses intérêts et tournant le dos à la fortune de sa maison, on la vit attaquer avec éclat ou miner par ses artifices cette royauté dont sa famille avait été l’appui et qui était encore bien plus l’appui de sa famille. On la vit, oublieuse de ses plus justes ressentimens, même de son honneur, passer dans le camp de ceux qui, en 1643, avaient tenté de flétrir dans sa fleur sa jeune et pure renommée. On vit la fille des Condé livrée aux Vendôme et aux Lorrains, faisant cause commune avec Beaufort et avec Mme de Chevreuse, et s’exposant à rencontrer dans ce monde nouveau pour elle son ancienne et implacable ennemie, Mme de Montbazon. En vérité, il ne lui aurait manqué, si Guise n’eût pas alors été à Naples, que d’avoir à serrer la main qui tua Coligny !

Cependant La Rochefoucauld n’oubliait pas le motif qui lui avait fait désirer avec tant d’ardeur la conquête de Mme de Longueville. Il avait voulu, lui-même nous l’a dit, arriver au frère par la sœur, et gagner à la Fronde la maison de Condé, qui jusqu’ici avait servi de rempart à la reine et à Mazarin.

M. le Prince était mort à la fin de 1646, et avec lui sa famille avait perdu son gouvernail politique. Mme la Princesse demeura inébranlablement attachée à la reine ; mais Mme de Longueville n’eut pas grand’ peine à entraîner tout d’abord parmi les mécontens le prince de Conti, qui, en attendant le chapeau de cardinal, n’était pas fâché de faire du bruit, déjouer un rôle, et d’acquérir une importance qui le relevât à côté de son frère. Elle eut même la triste habileté d’engager son mari dans le même parti que La Rochefoucauld. Mais la grande affaire était d’y attirer Condé lui-même.

Celui-ci croyait avoir beaucoup à se plaindre du cardinal. À la mort de son beau-frère Brezé, en 1646, il avait demandé à lui succéder dans la charge de grand-amiral de France. On n’avait pu ajouter cette charge à toutes celles que les Condé possédaient déjà ; mais, par ménagement, la reine ne l’avait donnée à personne et se l’était attribuée à elle-même. M. le Prince, qui vivait encore, ambitieux et avide, avait