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les causes et sur l’importance de ces oscillations monétaires. On s’accorde à reconnaître que, dans l’origine, la valeur de l’argent, chez quelques peuples, a égalé et surpassé même celle de l’or. Les lois de Manou attribuent à l’or deux fois et demie le prix de l’argent. M. Dureau de la Malle pense qu’entre le XVe et le VIe siècle avant notre ère, partout ailleurs que dans l’Inde, le rapport a dû être de 6 ou de 8 à 1, comme il était en Chine et au Japon à la fin du dernier siècle ; on le trouve de 10 à 1 en Grèce, du temps de Xénophon, trois cent cinquante ans avant Jésus-Christ. Cent ans plus tard, le traité de Rome avec l’Étolie consacre une proportion semblable.

Aujourd’hui, la découverte et l’exploitation de nouveaux gîtes métalliques sont les seules causes qui puissent influer d’une manière durable sur la valeur relative des métaux précieux. Dans l’antiquité, la conquête, qui enrichissait une nation des dépouilles d’une autre, ou le pillage de ces grands réservoirs monétaires que l’on appelait le trésor public, jetant soudainement dans la circulation des masses d’or et d’argent, ne pouvait manquer de déprécier, selon les circonstances, soit l’un ou l’autre de ces métaux, soit tous les deux ensemble. C’est ainsi que les conquêtes d’Alexandre, ouvrant les portes de l’Orient, inondèrent le monde grec de richesses qui s’avilirent par leur abondance et s’affaissèrent par leur propre poids. Après la prise de Syracuse par les Romains, l’argent faisant la base des trésors qu’ils avaient ravis, la valeur de ce métal tomba tout d’un coup, au point que dix-sept livres d’argent se donnaient pour une livre d’or. Un peu plus tard, le rapport était d’à peu près 12 à 1, lorsque César, mettant au pillage les 2 milliards que renfermait le trésor de la république et dans lesquels l’or dominait, en réduisit tellement la valeur, que la proportion ne fut plus que d’environ 9 à 1. Sous les empereurs romains, la production de l’or ne tarda pas à se ralentir ; les progrès de la mécanique permirent au contraire d’exploiter avec un avantage croissant les riches filons des mines d’argent de l’Asie, de la Thrace et de l’Espagne. Le rapport des deux métaux dut changer. Il était de 18 à 1 du temps de Théodose-le-Jeune, quatre cent douze ans après la naissance du Christ.

Au moment où commence la décadence de l’empire romain, dans le cours du IVe siècle, la valeur des métaux précieux était, à peu de chose près, ce qu’elle est de nos jours. L’invasion des barbares, en dispersant et en dissipant les trésors accumulés de l’Occident, détruisit pour un temps l’industrie qui les renouvelle. Le signe monétaire, par l’effet de sa rareté, acquit une singulière puissance. Le prix de toutes choses baissa, ou, ce qui est l’autre face du même résultat, la valeur de l’argent s’accrut au point de présenter les phénomènes qui marquent l’enfance des sociétés. Non-seulement la puissance du numéraire et des métaux précieux dut augmenter dans cette nuit long-temps stérile du