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grace spiritualiste des ancêtres bafouée par tant de voix injurieuses, il était impossible de ne pas songer aux ascétiques dessins d’Owerbeek, aux œuvres si suaves de Steinlé, ou bien à ces compositions charmantes dans lesquelles M. Louis Richter groupe si harmonieusement les enfans et les mères. Comment donc quelque poète n’a-t-il pas fait avec une pleine conscience de son œuvre ce que ces talens aimables accomplissaient d’instinct ? Il fallait sans doute que la démagogie hégélienne parût victorieuse un instant pour être plus complètement détruite. Ce qui est certain au moins, c’est que les désordres de la pensée publique provoquèrent enfin cette réaction trop lente. Puisque Henri Heine lui-même allait protester si gaiement contre le haut clergé de l’athéisme, il était bien temps, que les ames croyantes et les cœurs simples eussent un poétique interprète dans la mêlée des opinions aux prises. Cet interprète ne leur a pas manqué. À l’heure même où la démagogie allemande est sortie de l’obscurité des systèmes pour s’emparer du monde réel, un livre a obtenu tout à coup un de ces succès immenses qui sont des événemens littéraires. L’auteur était inconnu ; il débutait entre l’émeute de Dresde et l’agonie furieuse du parlement de Francfort, et depuis trois ans, au milieu des préoccupations les plus graves, il a opéré un charme qui se prolonge encore : la quatorzième édition de son livre vient de paraître. Quelle est cette œuvre accueillie avec un si rapide enthousiasme à l’heure où les humanistes saluaient dans les émeutes et les guerres civiles l’enfantement laborieux du monde nouveau ? C’est une œuvre tout enfantine. Les gracieux dessins de Steinlé et de Richter semblent y prendre une voix et se mettent à chanter. On ne saurait rien imaginer de plus candide, de plus tendre, de plus soumis, de plus humblement affectueux, rien de plus contraire, en un mot, à l’arrogance hégélienne.

Un caractère remarquable de cette humilité, c’est qu’elle a conscience de sa force, et que l’auteur l’oppose avec une certaine résolution à l’orgueil effréné fie ceux qu’il veut combattre. De plus, le poète a la prétention de faire une œuvre strictement catholique. Il ne craint pas les écarts bien naturels où l’art peut induire le cœur le plus rigide ; il dédaigne les avertissement de Boileau, et croit que les mystères des chrétiens sont susceptibles d’ornemens égayés. À la manière des artistes du moyen-âge, il appelle Jésus-Christ le maître du chant et l’instituteur des poètes. Ce sont les poètes sacrés qui doivent reconstruire la cathédrale renversée par tant de secousses violentes ; il faut au monde des lyres nouvelles et de nouvelles harmonies. À l’œuvre, compagnons ! ne me laissez pas travailler seul au saint édifice que je bâtis : chantons, chantons, et que l’église catholique se relève !

« A l’œuvre ! et prenez confiance ! Apportez vos harpes et vos glaives ! Ne me laissez pas construire seul le monument ; trop lourde pèserait ma tâche !