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être réveillés, et cependant le mal gagnait de proche en proche. Les révolutions ont mis brusquement à découvert ces influences malsaines, elles ont fait éclater tout ce qui s’agitait dans l’ombre à l’abri de cette sécurité trompeuse ; maintes apparitions sinistres ont eu lieu, mais finalement l’explosion a purifié l’atmosphère. Il est permis de regretter, dans la politique, bien des choses qui ont suivi cette catastrophe, bien des réactions salutaires qui ont dépassé le but et repris ce qui était légitimement gagné : dans l’ordre tout autrement sérieux de la pensée et de l’existence morale, il n’y a rien à regretter. La crise était nécessaire, et elle a été féconde. Pour beaucoup d’intelligences, une vie nouvelle a daté de ce moment ; aussitôt l’orage fini, de suaves odeurs ont parfumé la nature.

S’il est une expérience qui doive humilier notre orgueil, c’est de voir combien tout grand fait, tout changement mémorable dans les choses d’ici-bas profite rarement à celui qui en a eu l’initiative. Quand Hegel nous montre son dieu se servant de la liberté de l’homme pour accomplir ses évolutions terribles, et qu’il s’écrie avec une sombre éloquence : « Toute action se retourne contre son auteur et le tue, » cette parole a surtout un sens métaphysique dans sa bouche ; appliquez-la aux événemens de la vie intellectuelle et morale, et voyez comme les temps de révolution se chargent d’en justifier la profondeur ! La liste serait longue des partis et des doctrines qu’une victoire passagère a tirés de l’obscurité pour les frapper de mort au grand jour. On peut s’étonner à bon droit que la littérature allemande avant 1848 ait subi si complaisamment la sourde tyrannie de l’athéisme. Ni les penseurs élevés ni les écrivains habiles ne lui manquaient ; mais, soit indifférence pour un péril qu’on ne croyait pas si rapproché, soit timidité en face d’adversaires à qui toutes les armes étaient bonnes, on ne vit pas un seul penseur ou un seul poète opposer une résistance éclatante aux docteurs du mensonge. Quelle saveur aurait eue une œuvre franchement et naïvement chrétienne au milieu de ces écrits de toute sorte où l’orgueil se donnait carrière ! Comme une telle inspiration aurait été féconde ! Comme le poète aurait pu y retrouver d’anciennes richesses germaniques et y puiser des beautés toutes neuves ! Personne ne l’essaya. Les arts du dessin conservèrent seuls la tradition chrétienne, qui semblait effacée des lettres. Les critiques avaient beau proclamer la mort de la poésie religieuse et l’avènement de je ne sais quel art nouveau où l’homme remplaçait Dieu : les peintres, placés en dehors de ce mouvement et soustraits à ces influences pernicieuses, entretinrent avec grâce le dépôt de la pensée chrétienne telle que l’imagination germanique l’a conçue. Quand on voyait la poésie allemande, sur les pas des Herwegh et des Freiligrath, s’écarter chaque jour davantage des frais domaines où elle est née, quand on voyait la