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Puget, et pourtant Pietro conçut rapidement une vive affection pour le jeune Marseillais. Les biographes nous apprennent que, pour le retenir près de lui, il lui offrit sa fille unique avec une riche dot ; mais Puget, satisfait du fruit de ses études, sentait le mal du pays et voulait retourner à Marseille. Son désir le plus impérieux était de montrer à ses concitoyens le savoir qu’il avait amassé dans son voyage, et les offres de Pietro ne purent ébranler sa résolution.

Il nous serait difficile d’estimer d’une manière précise l’influence du maître italien sur Puget, car les tableaux exécutés par son élève sont presque tous dispersés en Provence, et les galeries publiques n’en possèdent qu’un petit nombre. Je renonce d’ailleurs sans regret à l’analyse de ses tableaux, car les panégyristes les plus complaisans n’osent pas les comparer à ses œuvres de sculpture. Et bien que l’élève de Roman et de Pietro de Cortone ait cultivé, comme Michel-Ange, les trois arts du dessin, c’est comme statuaire seulement qu’il occupe un rang éminent dans l’histoire de notre pays. Ses travaux d’architecture et de peinture, admirés à Marseille, à Toulon, ne dessinent pas sa physionomie aussi nettement que ses travaux de sculpture, et c’est à ces derniers seulement que je veux demander le secret de son génie. C’est dans le marbre qu’il a révélé toute sa pensée. La couleur et la pierre ne l’ont exprimée que d’une façon incomplète, et pourtant, chose singulière, Puget préférait l’architecture à la peinture et la peinture à la statuaire.

À peine revenu à Marseille, son premier soin fut de faire le portrait de sa mère, qui se trouve à Aix dans le cabinet d’un amateur, et présente avec l’auteur même une frappante ressemblance. N’ayant pas de travaux commandés, comme il occupait ses loisirs à dessiner des projets de vaisseaux, des officiers de marine qui avaient entendu parler de son talent précoce pour les constructions navales le recommandèrent au comte de Brezé, grand-amiral de France. Le comte l’appela près de lui à Toulon, et le pria d’exécuter pour lui le navire le plus riche qu’il pourrait imaginer. Ce fut alors que Puget, libre enfin de déployer son génie, conçut pour la poupe le projet d’une double galerie ornée de bas-reliefs et de figures en ronde-bosse. L’invention des armes à feu avait singulièrement appauvri le caractère des navires. Les ingénieurs n’avaient plus en vue qu’un seul but : la solidité. Il s’agissait avant tout de résister à l’artillerie, et d’offrir aux boulets une coque difficile à entamer. Puget, tout en tenant compte des données de la science, résolut d’allier à la solidité l’élégance et la richesse, et sa pensée se traduisit sous une forme si attrayante et si sage tout à la fois, qu’elle réunit tous les suffrages. Le modèle de ce navire devint bientôt populaire dans toute l’Europe et fut reproduit avec des variantes sans importance dans les ports de l’Océan et de la Méditerranée. Les bas-reliefs et les figures ronde-bosse composaient une allégorie en l’honneur